Faces (John Cassavetes, 1968)
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Faces (John Cassavetes, 1968)
Faces à l'image de son tournage éprouvant n'est pas un film confortable. C'est le 4eme film de Cassavetes mais son 2eme vraiment indépendant. Et cette indépendance se paie au prix fort: hypothèque de la maison de Cassavetes et Rowlands, comédiens bénévoles qui tournent de nuit après leur travail jusqu'à épuisement, réalisateur qui fait l'acteur en parallèle pour réinjecter les cachets dans le film, recyclage de chutes de pellicules d'autres productions, montage interminable...A tous points de vue Faces s'est construit à la marge du système et n'a dû son existence qu'à la détermination sans faille de toute son équipe. Alors oui Faces est un film fauché, pas complètement abouti techniquement (un seul technicien pour l'ensemble du film) mais who cares? C'est un film d'un engagement fou, total, absolu. Un film réalisé avec les tripes où le besoin de s'exprimer librement est viscéral.
Faces s'inscrit dans la lignée de Shadows. Même noir et blanc granuleux, même caméra à l'épaule filmant au plus près des corps et des visages, même errances nocturnes, même montage dicté par le rythme de l'action et le jeu des comédiens, même frontière ténue entre la fiction et le documentaire.
Faces possède plusieurs strates. A première vue, le film aurait pu s'intituler "la valse des pantins". On assiste en effet à de nombreuses scènes hystériques où les personnages copieusement imbibés d'alcool crient, gesticulent, rient frénétiquement, pleurent etc. Mais Cassavetes arrache toujours le masque à un moment ou à un autre. Souvent au bout de longs plans-séquences où les corps s'abandonnent, s'empoignent en toute impudeur. Et au bout du compte, la tristesse, le désespoir, un profond désarroi. Faces dissèque les faux-semblants de l'american way of life. Une société d'apparences privée de sens et de communication où les couples se délitent sous nos yeux. Où les hommes d'affaires fuient leurs épouses "givrées" ou suicidaires dans les bras des call-girls. Où les épouses délaissées se consolent en parallèle en faisant appel à des gigolos. Il y a un parallélisme évident entre le rôle de Jeannie l'escort-girl et celui de Chet, le danseur au service des dames. Tous deux tenus par des piliers de la bande de Cassavetes (Gena ROWLANDS et Seymour Cassel), ils sont à la fois objets de désir et de défoulement. Faces montre le vrai visage d'une certaine Amérique de la réussite. Et il n'est pas beau à voir même si les fragments d'humanité arrachés aux masques sont bouleversants.