The Father (Florian Zeller, 2020)
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The Father (Florian Zeller, 2020)
Voilà le film que j'attendais de pied ferme, cela faisait près de vingt cinq ans que je n'avais pas vu Anthony HOPKINS, un de mes acteurs préférés dans un rôle à la mesure de son immense talent. L'expérience est en soi bouleversante d'autant que son vieillissement, montré sans fard est surtout perceptible dans sa voix qui a complètement changé de timbre (j'ai vu le film en VO), lui conférant une fragilité qui m'a noué la gorge dès les premières secondes. Lors des dernières secondes, je pleurais à l'évocation du prénom de son personnage retombé en enfance, Anthony, à qui il a insufflé toute son âme, même lorsqu'il s'agit comme ici de jouer une âme en souffrance, enfermée dans un cerveau malade. Et pourtant jamais le film n'est larmoyant et encore moins indélicat. Il se place à la bonne distance et aussi à la bonne hauteur, sans jugement, sans complaisance non plus mais avec beaucoup d'humanité.
Car à la prestation magistrale de Anthony HOPKINS et des autres acteurs qui l'entourent, à commencer par Olivia COLMAN qui joue sa fille il faut ajouter un véritable talent de mise en scène et de montage qui m'a happé et ne m'a plus lâché au point que je n'ai pas vu arriver la fin. Adoptant le point de vue du héros atteint de la maladie d'Alzheimer, nous faisant vivre sa perception du monde, le spectateur se retrouve plongé dans un labyrinthe mental angoissant dans lequel règne la confusion. Aux questions permettant l'analyse d'une situation (qui? quand? où? comment? pourquoi? etc.) il n'y a pas de réponse simple dans un cerveau malade puisque tout s'y mélange, y compris pour le spectateur qui nage en pleine perte de repères: que ce soit la temporalité instable (symbolisée par la perte de la montre dès le début du film), le dédoublement des personnes qui interagissent avec Anthony (un même visage est tantôt présenté comme celui de sa fille, tantôt comme celui de son infirmière), les propos qui lui sont tenus et qui se contredisent, l'interprétation des situations qui donne lieu à des quiproquo ou les lieux clos (appartements, chambres) mais incertains dans lesquels il se trouve, on vit l'expérience d'une réalité qui se dérobe. D'autant que lui-même nie sa maladie et rejette donc ses difficultés sur les autres, donnant à voir une vision paranoïaque du monde avec d'authentiques moments dignes d'un thriller (comme quand il croit subir une intrusion à domicile et qu'on lui annonce qu'il n'est pas chez lui). Paradoxalement, le spectateur n'est pas perdu pour autant car l'écheveau ainsi déroulé tourne toujours autour des mêmes thèmes: peur de l'abandon au travers de la question du départ (ou non) de la fille, perte de l'autonomie au travers de l'aide à domicile (et de la conservation de l'appartement) ou du placement en institution etc.
Profondément immersif et prenant (ce qui est brillant car en se glissant dans la peau du personnage, son expérience devient universelle et non plus seulement celle d'un homme vieux et malade), le film montre que le travail de détricotage qui accompagne la vieillesse et la mort concerne aussi l'entourage, impuissant face à ce mal incurable et qui doit accepter de lâcher prise, de laisser partir, pour pouvoir continuer à vivre.