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Les Délices de Tokyo (An, Naomi Kawase, 2015)

Les Délices de Tokyo (An, Naomi Kawase, 2015)

Publié le 12 avr. 2020 Mis à jour le 12 avr. 2020 Culture
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Les Délices de Tokyo (An, Naomi Kawase, 2015)

Dans les films culinaires il y a à boire et à manger, autrement dit le suprême y côtoie le navet. Avec "Les Délices de Tokyo" on est plus proche du premier que du second, même s'il subsiste quelques scories. Car non seulement Naomi KAWASE élève le film jusqu'à la dimension cosmique ce qui est sa signature tout comme son goût pour le documentaire mais elle n'oublie pas au passage la dimension humaine et sociale de son histoire qui y gagne en simplicité et en puissance par rapport à son film précédent "Still the Water" (2014).

Le moteur du récit réside en effet dans la relation filiale et fraternelle que vont nouer deux personnages a priori très différents. A priori seulement car en réalité, ils ont beaucoup de points communs. Le premier est Sentaro, un homme d'une quarantaine d'années joué par un acteur aussi charismatique que sensible, Masatoshi NAGASE. Il est le gérant d'une petite boutique de dorayakis, des pâtisseries japonaises traditionnelles composées de deux pancakes que l'on fourre avec de la pâte de haricot rouge sucrée. C'est un homme solitaire, triste et replié sur lui-même qui s'est enfermé dans une vie qui ne lui convient pas. La dette qu'il a contractée et qui l'oblige à travailler dans la boutique est symboliquement liée à son passé d'ancien taulard qu'il traîne avec lui comme un boulet. Jusqu'au jour où une charmante vieille dame, Tokue (Kirin KIKI) se présente sur la foi de sa petite annonce pour être embauchée à ses côtés. Dans un premier temps, il la repousse comme une gêneuse avant de goûter la succulente pâte de haricots rouges qu'elle lui a préparé. C'est un moment très important du film dont on ne comprend la portée qu'à la fin lorsqu'on apprend l'histoire de Tokue. En effet par ce simple don (de soi), Tokue redonne goût à la vie à Sentaro, elle le remet au monde, elle le libère comme le montre la dernière scène du film. Et pourtant Tokue aurait eu de quoi rejeter la vie tant celle-ci s'est montrée dure à son égard. Tokue est en effet elle aussi une paria de la société. En tant qu'ancienne lépreuse, elle a été enfermée avec les autres malades dans un quartier de Tokyo dont elle n'a pu sortir qu'à partir de 1996. On découvre également d'autres discriminations comme le fait qu'elle a été contrainte d'avorter (Sentaro devient alors le fils qu'elle n'a pas pu mettre au monde) et que les lépreux n'ont pas le droit d'avoir de tombe (c'est un arbre qui la remplace). Le rejet social dont elle est victime est tellement puissant qu'elle ne pourra pas longtemps travailler aux côtés de Sentaro. Mais elle a le temps de lui transmettre sa sagesse, la nécessité d'être en harmonie avec soi-même et de dépasser l'amertume que peut générer la petitesse de l'homme en s'appuyant sur la générosité infinie de la nature. En cela, elle m'a fait penser à une ancienne déportée, Simone Lagrange qui dans son livre autobiographique "Coupable d'être née" décrit comment elle parvenait à survivre à l'enfer d'Auschwitz en regardant les étoiles.

La relation belle, émouvante et pleine de délicatesse de Sentaro et de Tokue dont la douceur contraste avec la dureté de leur condition se suffisait à elle-même. Il est dommage que la réalisatrice ait rajouté quelques personnages supplémentaires comme la lycéenne Wakana (Kyara UCHIDA), la propriétaire du magasin et son neveu. Non seulement ils sont inutiles, mais ils alourdissent le propos.

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