Scènes de la vie conjugale (Scener ur ett äktenskap, Ingmar Bergman, 1972)
Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 9 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
Scènes de la vie conjugale (Scener ur ett äktenskap, Ingmar Bergman, 1972)
Bien que "Scènes de la vie conjugale" soit considéré comme un mètre-étalon dans le domaine de la dissection du couple et de ses faux-semblants*, il est à mon avis bien plus que cela. C'est surtout une quête de vérité, une recherche de soi et aussi de ce qui permet de se sentir vivant et relié au monde et aux autres: une quête des sens, des émotions, des sentiments perdus dans la facticité de la persona**. En effet le film commence au travers d'une vitrine sociale, celle de l'interview pour un journal féminin d'un couple modèle puisque dans les sociétés occidentales fondées sur le culte de la réussite il faut également "réussir son couple". Mais dès la scène suivante par le truchement d'un couple d'amis qui se déchire violemment puis de la confession d'une femme qui avoue avoir le coeur sec et les sens émoussés, le miroir aux alouettes vole en éclats. Derrière la vitrine du bonheur conjugal, il n'y a qu'un sinistre jeu de rôles consistant en des rituels d'affichage creux devant "parents" et "amis". Des liens qui disparaissent d'eux-mêmes lorsqu'ils s'avèrent aussi faux que le couple lui-même tel qu'il nous était présenté au début du film. Car à un moment donné, Johan (Erland JOSEPHSON) décide de jeter un pavé dans la mare en cessant de faire semblant. Une remise en question complète qui passe aussi par une redéfinition de lui-même. Renonçant progressivement à l'image de l'ambitieux à qui rien ne résiste, il s'avère être un homme peu sûr de lui, rongé par le doute mais qui éprouve un besoin viscéral de tendresse et d'intimité pour lesquels il est prêt à tout perdre. Par ricochet, sa femme, Marianne (Liv ULLMANN) est amenée à s'interroger elle aussi sur son identité et ce qu'elle souhaite, découvrant qu'elle a été formatée dès le plus jeune âge de façon à plaire, à se conformer et à n'avoir aucun désir personnel. A force de se chercher et à travers moultes crises étalées sur un certain nombre d'années***, Johan et Marianne vont être amenés à redéfinir profondément leur relation par un jeu de vases communicants, celle-ci gagnant en authenticité au fur et à mesure qu'elle se défait de ses oripeaux sociaux. Ce film de Ingmar BERGMAN me fait par ailleurs beaucoup penser au cinéma de John CASSAVETES. Lui aussi lacérait les contrats de mariage avec une rage équivalente à l'urgence de traquer en gros plan le besoin d'amour sur les visages d'acteurs mis à nu.
* On ne compte plus les films qui s'en sont inspirés de "Maris et femmes" (1992) de Woody ALLEN à "Marriage Story" (2019) de Noah BAUMBACH en passant par "Loin du paradis" (2002) de Todd HAYNES qui reprend le principe de l'interview pour un magazine féminin censé présenter un bonheur conjugal qui s'avère fondé sur des mensonges.
** "Persona" (1965) est d'ailleurs le titre d'un film de Ingmar BERGMAN. Ce mot désigne le masque social (à l'origine, c'était le masque que portaient les acteurs de théâtre).
*** Comme pour "Fanny et Alexandre" (1982) il existe deux versions, une mini-série télévisée de cinq heures et une version pour le cinéma de presque trois heures (celle que je connais).