Le Fils du désert (Three Godfathers, John Ford, 1948)
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Le Fils du désert (Three Godfathers, John Ford, 1948)
Quoiqu'on en dise, "Le fils du désert" est une pépite. Son apparente simplicité, sa supposée naïveté, les critiques sur sa lenteur, ses invraisemblances ou son symbolisme appuyé, bref tout ce qui dérange dans ce film atypique cache le fait qu'il s'agit avant tout de l'œuvre d'un immense cinéaste.
Il ne s'agit pas d'un western classique. En réalité Ford utilise les codes du genre, du moins au début pour ensuite emmener le spectateur dans une autre direction que l'on pourrait qualifier de mystico-biblique. A l'image des 3 hors-la-loi contraints par leur acte délictueux de quitter le chemin balisé pour s'enfoncer toujours plus loin dans le désert et l'inconnu.
En réalité la dimension religieuse et humaniste du film est présente dès le début lors d'une scène anodine en apparence mais à forte teneur symbolique pour la suite de l'histoire. On y voit les 3 brigands sympathiser puis prendre un café avec un couple de part et d'autre d'une barrière. Le repas partagé est un rite religieux commun aux trois monothéismes permettant de rapprocher les hommes qui se reconnaissent ainsi frères en humanité. La barrière est à l'inverse la Loi qui sépare ceux qui la bafouent de ceux qui la font respecter. L'homme qui a offert l'hospitalité aux 3 brigands n'est autre que le shérif de la ville de "Welcome" (Ward Bond): il leur tend la main. Les brigands braquent la banque: ils rejettent la main offerte. L'un d'entre eux, William dit le "Kid d'Abilène" (Harry Carey Jr, fils de l'acteur qui avait joué dans une adaptation antérieure muette, perdue) sera même blessé à cet endroit.
Ayant perdu le (droit) chemin, ils sont condamnés à errer dans le désert jusqu'à ce qu'ils se rachètent. Un chemin de croix certes mais aussi une quête spirituelle. Le désert est un haut lieu de méditation depuis les premiers moines chrétiens qui s'y réfugièrent au IVeme siècle après JC pour protester contre les dérives de l'Eglise et s'unir à Dieu. C'est avec une partie inconnue ou refoulée d'eux-mêmes que ces trois hommes font connaissance. Celle du shérif si pacifiste qu'il s'appelle "B. Sweet". Celle qui va leur faire rendre les armes, donner des biberons et chanter des berceuses. Celle qui mènera leur âme (à défaut de leur vie pour deux d'entre eux) à bon port. Cette rencontre avec le divin prend la forme d'une mission: sauver un nouveau-né que la mère abandonnée et mourante a remis entre leurs mains en faisant d'eux leurs parrains ("godfathers" en vo). À partir de ce moment, les signes de grâce se multiplient: l'étoile du berger se met à briller dans le ciel, les élevant au rang de rois; ils trouvent une bible qui devient leur guide en s'ouvrant miraculeusement à la bonne page; la gourde d'eau semble se remplir toute seule alors qu'ils sont torturés par la soif; l'enfant entre leurs mains ne semble souffrir d'aucune privation ni excès de chaleur; les images épurées, dépouillées atteignent un degré de beauté confinant au sublime.
La boucle est alors bouclée lorsque Bob (John WAYNE) atteint avec l'esprit de ses camarades la nouvelle Jérusalem. Le lien entre la communauté et lui est désormais scellé par l'enfant qui porte son nom et les prénoms des trois ex-brigands. La communauté lui pardonne et il peut entrer dans la famille du shérif dont il a sauvé l'héritier (l'enfant est le fils de la nièce de son épouse). Une alliance par "le pain et le sel" qui est réitérée, la barrière en moins.