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Le Lauréat (The Graduate, Mike Nichols, 1967)

Le Lauréat (The Graduate, Mike Nichols, 1967)

Publié le 5 juin 2020 Mis à jour le 5 juin 2020 Culture
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Le Lauréat (The Graduate, Mike Nichols, 1967)

Le "Lauréat" est avec "Bonnie and Clyde" le film qui a marqué en 1967 la naissance du Nouvel Hollywood, mouvement du renouveau cinématographique américain autour d'une jeune garde de réalisateurs brillants depuis passés à la postérité. Influencés par le néoréalisme italien et la nouvelle vague française, ils prirent le pouvoir au sein des studios, s'affranchirent des conventions et imposèrent une contre-culture marquée par la contestation (vis à vis des générations précédentes) et un grand désir de liberté perceptible aussi bien dans la forme de leurs films que dans les thèmes abordés.

Le "Lauréat" porte un titre parfaitement ironique puisqu'il s'agit d'un film sur l'absence de perspectives offertes aux jeunes par une société bouchée et l'extrême incertitude qui accompagne "les lendemains qui chantent" (?) de l'après 1968. Renverser la table oui, mais pour quoi faire après? C'est notamment en cela que le film de Mike Nichols est remarquable car alors qu'il a été tourné "à chaud", il a suffisamment de recul pour s'extraire de la béate euphorie du contexte au profit d'une tonalité douce-amère parfaitement illustrée par les magnifiques chansons de Simon & Garfunkel (l'énergie de "Mrs Robinson" d'un côté, le mélancolique "Sound of silence" de l'autre qui exprime le vertige du vide créé par le démantèlement de l'ordre ancien). Mais avant d'en arriver à ce constat en demi-teinte, le film est déjà remarquable dans sa manière de dépeindre la sujétion de son personnage principal joué par Dustin Hoffman, le bien nommé Benjamin (Ben signifiant "fils de") aux adultes qui l'entourent. Le célèbre générique (repris par Tarantino pour celui de "Jackie Brown") dépeint celui-ci comme le rouage d'un système social mécanique parfaitement huilé qu'il subit avec résignation. On ne compte plus les scènes où, à l'image de son aquarium il est enfermé dans le cadre, acculé contre un mur, engoncé dans un costume étouffant ce qui exprime son angoisse d'un avenir dans lequel il ne parvient pas à se projeter. Ces scènes sont complétées par celles où il se laisse porter par les éléments comme autant de symboles de sa passivité face au milieu bourgeois qui fait des projets sur son dos. C'est donc logiquement qu'il tombe dans les filets de Mrs Robinson (Anne Bancroft), une cougar* dominatrice et manipulatrice qui se sert de lui pour assouvir ses besoins sexuels et lui dicte sa conduite. Si le réalisateur parvient à éviter de tomber dans le scabreux, c'est justement parce que l'initiation sexuelle de Ben prend la forme d'une emprise prédatrice qui menace de le dévitaliser à jamais**. Jusqu'à ce qu'il rencontre Elaine (Katharine Ross), la fille de Mrs Robinson, aussi triste, perdue et aliénée que lui. C'est alors que Ben va révéler des trésors de combativité insoupçonnés pour prendre le dessus sur ceux qui le violentent (c'est le sens par exemple de ces plans furtifs quand Mrs Robinson s'exhibe nue devant lui et qui s'apparentent à un viol du regard ainsi que de la scène où celui qui l'héberge et les voisins font intrusion chez lui quand il est avec Elaine). Si le schéma de la mariée enlevée est conventionnel, la manière dont se déroule cet enlèvement fait penser au banquet bourgeois de "Hair" mis sans dessus dessous par les hippies avec une touche burlesque qui rend la scène très drôle en plus de son caractère transgressif. Mais c'est à ce moment là que le film devient visionnaire en refusant le happy-end facile au profit d'une fin ouverte qui souligne le progrès accompli par le fait même qu'elle est ouverte mais comporte une large part d'incertitude face à l'inconnu qui s'ouvre sous les pieds de Ben et d'Elaine. Le film révéla par ailleurs Dustin Hoffman dont la tête de premier de la classe façon Beatles des débuts cache des trésors de plasticité qu'il mettra en œuvre brillamment par la suite.

* Terme qui est ici approprié pour désigner une prédatrice d'âge pas si mûr étant donné que Anne Bancroft n'avait que 6 ans de plus que Dustin Hoffman au moment du tournage.

** A l'époque du "Lauréat", les films qui abordaient frontalement le thème des abus sexuels qu'ils soient commis par la violence ou par la ruse sur des êtres vulnérables n'étaient pas légion. Et ils ne le sont toujours pas actuellement.

 

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