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L'Ennemi intime (Florent-Emilio Siri, 2007)

L'Ennemi intime (Florent-Emilio Siri, 2007)

Publié le 27 juin 2020 Mis à jour le 27 juin 2020 Culture
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L'Ennemi intime (Florent-Emilio Siri, 2007)

Surnommé le "Platoon" français, "L'Ennemi intime" va pourtant chercher son titre et sa réflexion dans le documentaire de 2003 en deux parties de Patrick Rotman consacré à la guerre d'Algérie et plus précisément au processus par lequel de jeunes appelés français se sont transformés au sein de l'armée en bourreaux. Néanmoins la référence hollywoodienne est tout à fait pertinente et ce pour plusieurs raisons:

- Bien que catalogué film de guerre, tout dans ce film rappelle le western, au point d'ailleurs que la similitude avec "Fureur Apache" de Robert Aldrich m'a sauté aux yeux mais également avec d'autres westerns crépusculaires des années 1970 comme ceux de Sam Pekinpah.. On peut aussi faire le rapprochement avec certains des derniers films de John Ford ("L'Homme qui tua Liberty Valance") et ceux de Sergio Léone. Le réalisateur Florent-Emilio Siri a travaillé à Hollywood et connaît donc bien son affaire.

- Ensuite parce que la parallèle effectué entre la guerre du Vietnam et celle d'Algérie est pertinent. Ce sont des conflits contemporains dont les causes sont différentes mais la nature similaire. C'est à dire des guerres asymétriques opposant une armée de métier (celle de la puissance impérialiste) à une guérilla (celle du pays occupé). Des guerres par ailleurs non assumées comme telles. Dans le cas du Vietnam, les soldats US étaient juste censés prêter main-forte à l'armée du Vietnam du sud contre celle du nord et surtout contre les communistes armés du sud (les Vietcongs). Une stratégie de l'endiguement datant de 1947 et se manifestant par des interventions indirectes. Dans le cas de l'Algérie comme le rappelle le film, le mot guerre n'est même pas employé car depuis 1848, l'Algérie a été annexée à la France. Celle-ci maintient donc dans son discours et en décalage total avec la réalité que l'Algérie est un morceau du territoire national qui relève du ministère de l'intérieur et que les soldats sont censés aller y maintenir l'ordre contre des terroristes et non y faire la guerre. Le même déni de langage touche d'ailleurs les armes employées ("bidons spéciaux" au lieu de napalm dont une scène montre les effets dévastateurs). Ce type de guerre est par ailleurs impossible à gagner pour la puissance occupante car la technologie s'avère inopérante face à un ennemi invisible qui a l'avantage du terrain et peut se fondre dans la population civile (le film montre à deux reprises combien cette confusion peut avoir des conséquences funestes). Par conséquent ces conflits lorsqu'ils ne trouvent pas de solution politique immédiate aboutissent à un enlisement (le fameux "bourbier"). Et c'est l'impuissance à identifier l'ennemi qui conduit à une montée paroxystique de la violence tels que des massacres de villages entiers, des séances de torture jusqu'à ce que mort s'ensuive ou l'emploi d'armes de destruction massive.

- Enfin la comparaison avec les films Hollywoodiens est également intéressante en ce qu'elle rappelle que les américains ont immédiatement regardé en face leur histoire avec une série de films importants traitant de la guerre du Vietnam dès les années 70 alors que la France s'est voilé la face et a imposé une chape de plomb sur le sujet pendant des décennies. Une attitude guère étonnante au vu de la censure ayant frappé "Les Sentiers de la gloire" (1957) qui critiquait l'Etat-major de l'armée française pendant la première guerre mondiale ou de la question sensible du régime de Vichy. "La Bataille d'Alger" (1966) de Gillo Pontecorvo a été interdit en France jusqu'en 2004 soit deux ans avant "Indigènes" et trois ans avant "L'Ennemi intime".

L'alliance d'un terreau documentaire solide* et d'un sens hollywoodien du spectacle aboutit donc à un film tout à fait remarquable, jalon essentiel du traitement de la guerre d'Algérie par la fiction en France au moment du paroxysme de sa cruauté c'est à dire en 1959 dans les maquis du FLN renommés par l'armée française "zones interdites" pour que les soldats puissent tirer sur tout ce qui bouge. L'extrême cruauté d'un conflit qui conduit d'anciens frères d'armes de la seconde guerre mondiale à choisir des camps opposés et à s'entretuer est soulignée de même que le processus de haine aveugle qui s'empare des recrues face aux atrocités commises par le FLN dont le film ne nous cache aucun détail tout comme il n'occulte rien de celles que les soldats français imposent aux locaux, pas seulement pour des raisons rationnelles (obtenir des renseignements) mais aussi pour se venger selon la loi du talion**. La descente aux enfers de l'idéaliste lieutenant Terrien (Benoît Magimel)  s'oppose au cynisme désabusé du beaucoup plus expérimenté sergent Dougnac (Albert Dupontel) mais aboutit dans les deux cas à les briser en tant qu'être humain.

* Même si pour des raisons de lisibilité d'un conflit complexe, des simplifications ont été opérées. Par exemple les habitants du village de Teida massacrés au début du film sont présentés comme des harkis alors que cet épisode s'inspire du massacre du village de Melouza par le FLN en représailles contre le fait que ses habitants soutenaient un mouvement indépendantiste rival du FLN, le MNA dirigé par Messali Hadj.

** La manière dont la conscience individuelle est broyée par les mécanismes de la guerre est au cœur du film et explique comment d'anciens résistants qui avaient subi la torture ont pu l'infliger à leur tour, cette inversion des rôles conférant au FLN le statut de résistants.

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