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Sans toit ni loi (Agnès Varda, 1985)

Sans toit ni loi (Agnès Varda, 1985)

Publié le 16 mai 2020 Mis à jour le 16 mai 2020 Culture
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Sans toit ni loi (Agnès Varda, 1985)

"Sans toit ni loi" est le plus grand film de fiction de Agnès Varda avec "Cléo de 5 à 7". Plus de vingt ans les séparent soit une génération. Le second est beaucoup plus dur et âpre que le premier tant par le contexte social qu'il dépeint que par son interprétation (formidable Sandrine Bonnaire qui a 17 ans 1/2 endossait sans réserve le rôle désaffilié et mal aimable de Mona). Mais les deux films entretiennent des points communs. Il s'agit dans les deux cas d'une errance au féminin dont on connaît ou devine cependant dès l'introduction l'issue. Une errance doublée d'une quête d'identité. Mona la routarde SDF et Cléo la chanteuse en attente de diagnostic se cherchent dans des fragments de miroir, ceux que leur renvoient les personnes qui croisent leur chemin. Car Agnès Varda est une glaneuse et ses portraits (ceux de ses personnages de fiction comme le sien) sont à multiples entrées, des puzzles faits de bric et de broc, toujours incomplets. Si Cléo se dévoile à la fin en raison d'une rencontre décisive, ce n'est pas le cas de Mona qui reste un personnage opaque et contradictoire, antipathique et attachant à la fois (ou selon les points de vue, c'est aussi cela qui fait la richesse du film). Un personnage tragique aussi, ne trouvant sa place nulle part, soit parce qu'elle retrouve ailleurs et sous d'autres atours tout ce qui l'a poussé à fuir, soit parce qu'elle se fait rejeter des endroits où elle pourrait éventuellement se sentir bien. Les propos des uns et des autres en disent souvent plus sur eux même que sur elle, son caractère impénétrable servant aussi à réfléchir la lumière sur les témoins qui ont croisé sa route et qui sont issus d'un large spectre social: il y a entre autre l'ouvrier tunisien mutique, la bonne (Yolande Moreau) qui projette ses fantasmes romantiques sur Mona (elle n'est pas la seule d'ailleurs à envier sa liberté en oubliant la solitude qui l'accompagne), sa riche patronne (Marthe Jarnias), une vieille dame qui noue une complicité avec Mona, son neveu BCBG (Stéphane Freiss) ingénieur agronome au mode de vie petit bourgeois (étriqué) qui est profondément dérangé par Mona, sa collègue platanologue (Macha Méril) qui éprouve une profonde culpabilité à l'égard de Mona etc.

A travers "Sans toit ni loi" qui a conservé toute sa puissance en dépit du temps qui a passé, Agnès Varda dévoile une dialectique fondamentale de son cinéma à savoir le fait que son goût prononcé pour les autres (notamment les marginaux) est toujours lié à des interrogations sur elle-même. Comme Cléo, Agnès Varda est une artiste mais comme Mona, elle est en marge et isolée, traçant sa route de pionnière en solitaire. C'est cette dimension personnelle, introspective ainsi que la forme très recherchée qu'elle prend (là encore hybride, entre documentaire et fiction) qui permet à son film d'échapper aux stéréotypes du film social. Comme son héroïne, "Sans toit ni loi" est un film à multiples entrées qui possède aussi une indéniable dimension féministe. Mona refuse le monde hiérarchisé et patriarcal (celui du travail notamment) et apparaît également asociale (elle déteste les groupes) mais son vagabondage solitaire fait d'elle paradoxalement une proie facile pour les hommes. En dépit de son caractère rageur, de son apparence délabrée et de sa gangue de crasse, elle est régulièrement confrontée au viol et à la prostitution à laquelle elle n'échappe que pour finir dans le fossé. Elle n'a en effet aucun projet constructif à proposer, vivant de petits boulots et de chapardages, fuyant la réalité dans l'alcool et l'herbe. L'éleveur de chèvres qu'elle rejette à cause de son côté paternaliste a deviné l'impasse dans laquelle elle s'est fourrée et constate avec désolation que son attitude nihiliste sert les pires aspects du système qu'elle rejette.

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