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Mort sur le Nil (Death on the Nile, Kenneth Branagh, 2022)

Mort sur le Nil (Death on the Nile, Kenneth Branagh, 2022)

Publié le 22 févr. 2022 Mis à jour le 22 févr. 2022 Culture
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Mort sur le Nil (Death on the Nile, Kenneth Branagh, 2022)

Dans sa précédente adaptation d'Agatha Christie, "Le Crime de l'Orient-Express", un prologue et un épilogue montraient un Hercule Poirot obsessionnel, perfectionniste, amoureux de la symétrie qui allait devoir pourtant apprendre à vivre avec l'imperfection et le déséquilibre (en résumé avec la vie*). "Mort sur le Nil" qui constitue une sorte de suite implicite du moins sur un plan intimiste est également construit sur un prologue et un épilogue qui se répondent. Le prologue explique dans quelles circonstances historiques dramatiques Hercule Poirot s'est fabriqué un masque (tant en ce qui concerne son apparence que sa persona) alors qu'à l'inverse dans l'épilogue, la découverte du blues, parfait reflet de son être profond l'amène à montrer son vrai visage et donc à commettre un acte iconoclaste. La version de Kenneth Branagh est en effet beaucoup plus sombre et mélancolique que celle, plus légère et ludique de John Guillermin. Plus humaine aussi. Derrière le théâtre convenu se déroulant à bord du bateau (une scène de crime idéale, comme celle du train) le film rappelle que Kenneth Branagh est issu de la Royal Shakespeare Company et non du théâtre de boulevard. Autrement dit, celui-ci nous invite au travers de l'amplitude de sa mise en scène à prendre de la hauteur ou au contraire à plonger dans les profondeurs ou encore à contempler au travers de verrières biseautées. Objectif? Montrer ce qui se cache derrière le "beau mariage" qui sert de vitrine officielle à la croisière privée cinq étoiles à savoir un réseau grouillant de désirs et de passions souterraines non conformes voire monstrueuses aux yeux de la société de l'époque mais qui tôt ou tard remontent à la surface, comme le vrai visage de Poirot.

Un mot sur le travail de modernisation par rapport au livre et à l'adaptation de 1978. Côté casting, Kenneth Branagh a pris le contrepied du parti pris du film de John Guillermin que Olivier Père avait qualifié de "pavillon de gériatrie" ^^ en mêlant à quelques vétérans (comme Annette Bening) des acteurs jeunes ayant percé dans des films ou des séries appréciés du public du même âge (Gal Gadot, Emma Mackey, Letitia Wright, Armie Hammer). S'ils sont pour la plupart insipides et font regretter notamment Mia Farrow, Angela Lansbury et Maggie Smith, en revanche le choix de rendre explicite des thématiques qui ne l'étaient pas à l'époque où écrivait Agatha Christie me semble parfaitement pertinent. Même un film aussi illustratif que celui de Guillermin montre par exemple que Bowers est très masculine presque à la limite du travestissement ou que Salomé Otterbourne est une marginale (mais pas dans le même genre encore que l'ancienne et la nouvelle partagent le même turban). Enfin le choix de tourner les scènes d'extérieur en numérique n'est pas un problème, bien au contraire, il fait ressortir l'aspect factice des voyages des classes aisées dans l'entre-deux-guerres, celles-ci transposant leurs salons mondains dans des décors exotiques tout en leur tournant le dos (les scènes d'extérieur, assez rares sont tout à fait dans le ton des clichés coloniaux).

* Comme Sherlock Holmes, Hercule Poirot ne peut pas traverser le temps en restant éternellement déconnecté du reste de l'humanité. Ce genre de personnage de super-cerveau complètement désincarné ne fonctionne plus. Kenneth Branagh l'a donc fait entrer dans la vie et dans l'histoire, la petite et la grande.

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