Miss Oyu (Oyu-Sama, Kenji Mizoguchi, 1951)
Sur Panodyssey, tu peux lire 30 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 29 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
Miss Oyu (Oyu-Sama, Kenji Mizoguchi, 1951)
"Miss Oyu" est un film assez méconnu de Kenji Mizoguchi qui démontre comment la rigidité extrême de la société japonaise de l'ère Meiji débouche sur une situation tordue et inextricable de ménage à trois sur fond de sexualité réprimée. La méprise de départ (Shinnosuké tombe amoureux de celle qu'il croit être sa promise mais c'est la petite sœur de celle-ci qu'on lui destine) précipite le trio dans un mode de relation infernal ou chacun épouse un rôle qui ne correspond pas à ce qu'il désire vraiment. Shinnosuké épouse Shizu parce qu'il ne peut pas avoir Oyu qui selon les codes patriarcaux en vigueur dans la société japonaise appartient à sa belle-famille qui lui interdit de se remarier pour se consacrer à l'éducation du fils qu'elle a eu avec son mari défunt. Oyu travaille au mariage de Shizu et Shinnosuké pour pouvoir maintenir un lien avec ce dernier. Et Shizu, sans doute la plus névrosée des trois accepte de se sacrifier par amour pour sa grande sœur dont elle veut le bonheur, du moins c'est ce qu'elle prétend. Elle conclut une sorte de mariage blanc avec Shinnosuké qui se résigne à l'accepter et va jusqu'à encourager l'adultère entre sa sœur et son mari. Son comportement franchement masochiste conduit à se demander si son refus de la consommation du mariage avec Shinnosuké ne relève pas d'une sorte d'interdit incestueux du fait qu'elle le considère comme l'époux de sa sœur (et que cette sœur ressemble davantage à une mère qu'à une sœur). Il y a en effet en elle une peur de la sexualité, un refus de grandir qui rend son comportement quelque peu infantile. Elle est écrasée, littéralement par Oyu qui est celle qui attire tous les regards alors qu'elle reste dans l'ombre. Et elle s'interdit tellement de la dépasser qu'elle préfère mourir, en reconnaissant d'ailleurs qu'enfiler le costume de Oyu est bien trop lourd à porter. Si Shizu et Shinnosuké partagent une même résignation, un même masochisme, une répression du désir qui les attire vers la mort (par l'engloutissement, la noyade étant un motif récurrent de Kenji MIZOGUCHI), Oyu ne se comporte quant à elle pas en victime. En dépit du fait qu'elle ne puisse vivre selon ses désirs, elle dispose d'un espace de libre-arbitre bien à elle que personne ne peut lui ravir, c'est son don pour la musique. Les récitals de koto qu'elle donne révèlent que l'art est sa force et son refuge. Pas étonnant que ce soit elle qui soit la seule capable d'élever la descendance de Shizu et Shinnosuké.
Ajoutons que cette intrigue mélodramatique est complètement transcendée par la finesse de la mise en scène de Kenji MIZOGUCHI. La beauté de ses plans fait penser à des estampes et la disposition des personnages dans l'espace et leurs postures sont souvent plus parlantes que les mots échangés.