Ecrit sur du vent (Written on the wind, Douglas Sirk, 1956)
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Ecrit sur du vent (Written on the wind, Douglas Sirk, 1956)
Chef-d'oeuvre de Douglas SIRK, "Ecrit sur du vent" fonctionne comme un miroir en négatif de "Le Secret magnifique" (1954). Tous deux très critiques, voire acerbes vis à vis du rêve américain triomphant des années cinquante, ils offrent deux destins possibles mais diamétralement opposés à leurs jeunes milliardaires aux têtes brûlées par le fric: la voie du ciel, c'est à dire l'élévation spirituelle par la rédemption (ça c'est pour "Le Secret magnifique") (1954) ou celle de la descente aux enfers par l'autodestruction (ça c'est pour "Ecrit sur du vent"). Crépusculaire, tourmenté, le film l'est par sa flamboyance même, celle qui renvoie aux idoles consuméristes qui saturent l'écran jusqu'à l'overdose par leur abondance et la vivacité exacerbée de leurs couleurs. Le prologue est d'emblée saisissant comme un cauchemar avec son ciel rougeoyant faisant ressortir à contre-jour les structures des puits de pétrole qui barrent le paysage avec au centre la voiture jaune pétard roulant à tombeau ouvert, l'inquiétant déséquilibre du conducteur étant surligné par un cadrage oblique quand elle arrête enfin sa course folle sur fond de rafales de vent. De même, la scène où Kyle (Robert STACK) séduit Lucy (Lauren BACALL) en lui offrant un dressing complet donne presque le vertige car un jeu de miroirs semble en refléter les objets à l'infini. Dans le même esprit, l'incroyable scène dans laquelle Marylee (Dorothy MALONE) joue les derviches tourneur en robe rouge sang (comme sa voiture) sur fond de musique tonitruante précipite le destin fatal de son père dans les escaliers de l'immense demeure. Quant aux scènes calmes, notamment celles au bord du lac qui symbolise l'enfance des protagonistes, elles sont colorées par la nostalgie (l'automne, les feuilles qui tombent) puis voilées par l'ombre du deuil.
"Ecrit sur du vent" est un film que l'on pourrait presque qualifier de prophétique tant il souligne la décrépitude et la stérilité de la société capitaliste. Les enfants du roi du pétrole, Kyle et Marylee sont tous deux des dégénérés. Chacun d'eux est une illustration du fait que la passion de la possession matérialiste qui nourrit le capitalisme aboutit à l'impuissance. Kyle est un homme dépourvu de colonne vertébrale qui passe l'essentiel de son temps à s'étourdir dans la vitesse et l'alcool pour oublier son vide intérieur. Sa manière de séduire Lucy (par l'argent mais aussi par le récit de ses névroses) souligne bien assez son dégoût de lui-même, bien avant qu'il n'en fasse un terrifiant étalage. Lucy est comme elle le dit elle-même tentée par les signes extérieurs de richesse mais aussi par un réflexe typiquement inscrit dans l'éducation féminine, celui de l'infirmière apte à sauver un homme en détresse. Son calvaire n'en sera que plus terrible lorsque Kyle dont l'esprit est tordu par sa haine de lui-même se croit stérile et donc imagine que l'enfant qu'elle attend est celui de son meilleur ami, Mitch (Rock HUDSON) qui est son antithèse. Marylee la nymphomane nourrit son addiction de ce qu'elle ne peut pas avoir et qui donc la ronge de l'intérieur. Elle convoite en effet Mitch qui ne veut pas d'elle autrement que comme une amie. Chacun sait pour l'avoir éprouvé que le désir s'éteint une fois son objet possédé et qu'à l'inverse il est attisé par le manque ce qui est un formidable révélateur de ce qui nourrit l'addiction consumériste, au-delà des seuls objets inanimés. Face à toute cette décadence, le personnage de Mitch fonctionne comme une boussole morale. Amoureux logiquement de Lucy qui comme lui vient d'un milieu social inférieur, il tente s'échapper aux griffes du monstre qui cherche à les engloutir.