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Le Festin de Babette (Babettes Gæstebud, Gabriel Axel, 1987)

Le Festin de Babette (Babettes Gæstebud, Gabriel Axel, 1987)

Publié le 26 juin 2020 Mis à jour le 26 juin 2020 Culture
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Le Festin de Babette (Babettes Gæstebud, Gabriel Axel, 1987)

De même qu'il fallu quatorze ans à Babette pour toucher le gros lot et être en mesure de préparer le somptueux dîner gastronomique français qui donne son titre à la nouvelle de Karen Blixen dont le film est adapté, il fallut quatorze ans pour que le réalisateur Gabriel Axel parvienne à obtenir les crédits nécessaires à la réalisation du film. Les conseillers qui accordent les subventions de l'institut du cinéma danois jugeaient le scénario trop mince pour un long-métrage et pensaient également qu'il n'intéresserait pas un public moderne. Raté! Car c'est l'austérité de la première partie du film qui par contraste donne l'eau à la bouche lorsqu'arrive le moment du plantureux repas. Qui n'a jamais rêvé d'être assis à la table des convives pour goûter des mets qui au mieux se dégustent une fois par an à noël (les cailles farcies aux truffes et au fois gras, le caviar) mais la plupart du temps sont tout simplement inaccessibles au commun des mortels (les grands vins, la soupe de tortue qui avec les fruits confits me font penser au repas gargantuesque qui clôt "Le général Dourakine" de la comtesse de Ségur!)

"Le Festin de Babette" est un film d'oppositions mais aussi un film de médiations. Opposition entre les pays nordiques (La Norvège dans la nouvelle, le Danemark dans le film) et son austérité luthérienne et la France vue comme un pays de débauchés, entre Martine et Philippa, les deux vieilles filles puritaines et soumises et Babette, ex chef cuisinière d'un grand restaurant et ex Communarde, entre les acteurs scandinaves issus pour la plupart des films de Dreyer et de Bergman et la française Stéphane Audran plutôt abonnée à des rôles de femme fatale ou de bourgeoise, entre l'amour et l'art vus comme autant de tentations diaboliques (comme par hasard l'air que Achille Papin fait chanter à Philippa est "La Ci Darem la Mano" extrait de Don Giovanni et les victuailles apparaissent aux deux sœurs comme des émanations de l'enfer, un véritable sabbat de sorcières)  et une conception de la foi ascétique qui implique de renoncer à toutes les formes de plaisir terrestre pour se consacrer à Dieu et à son œuvre.

Toute la beauté du film réside dans le fait que la médiation l'emporte sur l'opposition et la vie sur la mort, du moins un bref instant (la dernière image de ce point de vue est éloquente). En effet la petite communauté luthérienne dirigée par Martine et Philippa (prénoms en relation avec Martin Luther et son ami Philippe Melanchthon) se déchire sous leurs yeux consternés et impuissants et c'est le festin de Babette, pourtant accueilli avec un mélange de crainte et d'ignorance qui paradoxalement va faire communier ses membres, leur apporter la paix du cœur et de l'esprit en comblant leurs sens et ce alors qu'ils avaient juré de nier l'effet que le repas aurait sur eux. Preuve s'il en est que la vraie spiritualité prend ses racines dans la sensualité (ce qui est d'ailleurs le message originel du christianisme!) et que le puritanisme lui est parfaitement stérile. La médiation, c'est également celle qu'accomplit le général Lorens Löwenhielm, seul convive à ne pas appartenir à la secte et qui en fin connaisseur commente chaque plat et chaque vin pour finir par reconnaître la signature de l'artiste des fourneaux qui se cache derrière le repas*. C'est enfin celle du réalisateur né au Danemark mais élevé en France et accomplissant sa carrière théâtrale et audiovisuelle dans les deux pays entre lesquels il effectue de nombreux allers-retours. Il a par ailleurs mis en scène de nombreux classiques français au Danemark.

* D'ailleurs la séquence du repas est l'occasion d'un total renversement de valeurs, les luthériens devenant des profanes ignares et le général, leur guide spirituel.

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