De nos frères blessés (Hélier Cisterne, 2020)
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De nos frères blessés (Hélier Cisterne, 2020)
J'évoquais dans un précédent avis consacré à "Des hommes" (2020) combien les films français sur la guerre d'Algérie étaient rares. Avec la sortie du deuxième film de Hélier CISTERNE, c'est sans doute (je l'espère) le signe que c'est en train de changer. "De nos frères blessés" est adapté du premier roman de Joseph Andras paru en 2016, inspiré d'une histoire vraie, celle de Fernand Iveton qui par son appartenance au parti communiste et par ses croyances en ses idéaux fit partie de cette frange de français minoritaires qui prirent parti pour les algériens musulmans et l'indépendance et en payèrent le prix fort. Le film montre en effet d'une manière très efficace l'une des conséquences de la disparition de l'Etat de droit au profit des "pouvoirs spéciaux" donnés à l'armée à partir de 1956 en Algérie: des règlements de compte camouflés sous des simulacres de procès. Pouvoirs conférés par un Etat, celui de la IV° République qui n'hésite pas à comparer le sort réservé à ceux qu'elle considère comme des traîtres aux "fusillés pour l'exemple" de la première guerre mondiale. Un homme est particulièrement montré du doigt: François Mitterrand, ministre de l'intérieur en 1954 (on lui doit la célèbre phrase "l'Algérie c'est la France") puis garde des Sceaux qui envoya des dizaines de personnes qui attendaient leur exécution dans les prisons algériennes à la guillotine en refusant la grâce dans 80% des cas*.
Or, la plupart de ces exécutés pour l'exemple étaient des insoumis mais pas des meurtriers. Et si Fernand Iveton (seul européen guillotiné pendant la guerre d'Algérie**) fut bien un poseur de bombe, il prit bien garde à choisir un lieu désaffecté dans le but de saboter des installations et non de faire un carnage. Le film retrace son parcours (en particulier sa haine des injustices et discriminations qu'il voyait tous les jours contre les musulmans qui travaillaient avec lui à l'usine de gaz d'Alger) ainsi que celui de sa femme d'origine polonaise qui avait fui le rideau de fer avec une partie de sa famille et n'avait donc pas la même vision du communisme que lui. Vincent LACOSTE et Vicky KRIEPS sont tous deux excellents et crédibles.
Outre son histoire forte et son interprétation solide, le film a été en partie tourné à Alger ce qui n'est absolument pas anecdotique. Rappelons qu'il a longtemps été impossible de tourner en Algérie notamment pour des raisons de sécurité (par exemple "Des hommes et des Dieux" (2010) a été tourné au Maroc). Il est donc émouvant de voir des scènes tournées dans la capitale algérienne, notamment son front de mer à l'architecture haussmanienne. D'autre part, le film établit une filiation avec "La Bataille d Alger" (1965), le film emblématique de Gillo PONTECORVO qui était lui-même proche du PCF, notamment dans la scène finale.
* Voir à ce sujet le livre "François Mitterrand et la guerre d'Algérie", écrit par Benjamin Stora et François Malye et publié en 2010, date à laquelle l'ouverture des archives de la Chancellerie permit de prouver qu'il avait refusé la grâce à Fernand Iveton. Avoir du sang sur les mains -même indirectement- a dû bien le hanter et peser dans sa décision d'abolir la peine de mort en 1981.
** Contrairement à Maurice Audin qui a donné son nom à une place du centre-ville d'Alger, Fernand Iveton a lui été totalement oublié.