Les Choses de la vie (Claude Sautet, 1970)
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Les Choses de la vie (Claude Sautet, 1970)
Le décès de l'acteur Michel Piccoli puis du scénariste et dialoguiste Jean-Loup Dabadie à une semaine d'intervalle m'a donné envie de revoir "Les Choses de la vie", un film emblématique des années 70 et du "style Sautet".
En effet, ce qui frappe d'emblée quand on regarde ce film, c'est à quel point il est ancré dans une époque révolue tant sur le plan technologique que culturel. Sur le plan technologique, la lenteur avec laquelle Pierre (Michel Piccoli) est secouru (il reste étendu dans le champ au moins une demi-heure avant l'arrivée de l'ambulance) rappelle ce que c'était de vivre dans un monde non connecté (peut-être d'ailleurs son destin en aurait-il été changé? Car cette absence de connexion n'était pas que technologique, elle était aussi civilisationnelle, j'y reviendrai.) Sur le plan culturel, il est inimaginable aujourd'hui de voir des acteurs avec la clope au bec en permanence dans des atmosphères enfumées (sauf dans les reconstitutions). La loi Evin est passée par là ainsi que l'augmentation vertigineuse des prix, une meilleure connaissance des effets sur la santé mais aussi une image ringarde désormais associée à ce produit. Enfin les problèmes matrimoniaux de Pierre semblent eux aussi terriblement datés. En 1970 le divorce par consentement mutuel n'existait pas encore et le mariage était davantage la norme. La femme ne semblait d'ailleurs pas pouvoir se réaliser autrement (le personnage d'Hélène joué par Romy Schneider n'envisage pas un instant de partir seule à Tunis). Des rigidités amplifiées par le milieu social bourgeois dans lequel s'inscrit le film où il faut en plus gérer un patrimoine qui après le départ de l'époux se détériore. Le bateau qui prend l'eau, le volet de la maison secondaire à l'île de Ré qui bat la breloque symbolisent le fait que l'épouse de Pierre ne peut pas se débrouiller seule ce qui a quand même changé depuis (même si le fait que beaucoup de familles bourgeoises ont une maison secondaire à l'île de Ré reste d'actualité).
Mais cette sujétion de la femme à l'homme dans le mariage, cadre normatif qui paraissait alors indépassable n'est pas aliénante que pour la femme, elle l'est aussi pour l'homme. Car l'accident de voiture, morceau de bravoure qui rythme la narration et transforme ce qui paraît n'être qu'un banal drame bourgeois en tragédie symbolise la crise existentielle de Pierre qui comme beaucoup de personnages de Sautet (comme Sautet?) sont coupés d'eux même. Ne parvenant plus à jouer son rôle de pater familias, il ne parvient pas cependant à se débarrasser de la pesante culpabilité qui pèse sur lui et encore moins à réinventer un autre modèle de couple et de famille. L'homme de cette époque ne communique pas, communiquer c'est féminin. L'homme de cette époque ne montre pas ses sentiments pour ne pas être considéré comme une femmelette. L'homme de cette époque a tellement bien appris dès le plus jeune âge à se blinder qu'en fait, il ne ressent même plus rien. L'état comateux de Pierre qui ne souffre même pas alors que son corps est moribond en dit très long sur la nature d'un personnage qui voit sa vie lui échapper une fois que le blindage a sauté, à tous les sens du terme. Et Michel Piccoli avec son jeu distancié excelle dans ce type de rôle tandis que les dernières visions de sa conscience (certaines poignantes, d'autres barrées*) démontent tout comme l'incroyable montage de la séquence l'accident l'idée préconçue que certains se font du cinéaste.
* Comme la scène du banquet de mariage qui s'avère être un repas de funérailles quand la caméra découvre que les convives à droite sont les témoins de l'accident avec parmi eux Boby Lapointe.