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Dead Man (Jim Jarmusch, 1995)

Dead Man (Jim Jarmusch, 1995)

Publié le 11 mai 2020 Mis à jour le 11 mai 2020 Culture
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Dead Man (Jim Jarmusch, 1995)

Il y a plusieurs niveaux de lecture dans ce film qui prend la forme d'une longue odyssée onirique en négatif. Odyssée parce qu'il s'agit d'une histoire de voyage, voire même d'une superposition de voyages et que la référence à Homère est limpide au travers du personnage de "Nobody" (Gary Farmer). Onirique parce que William Blake le "héros" (Johnny Depp) semble vivre ce périple sous hypnose (la musique de Neil Young y contribue beaucoup) tant il a l'air perpétuellement hébété voire narcoleptique. En fait son état de mort-vivant fait de lui plus un fantôme qu'un homme. Nobody et lui forment ainsi une sorte de duo de héros en "négatif" qui accompagne la photo en noir et blanc du film et participe de son ambiance irréelle. Tous deux sont des parias, solitaires, sans attaches, en route pour la mort. Leur périple funèbre ne prend sens qu'au niveau spirituel, bref on est dans un négatif de western. Par exemple il y a le pré-générique magistral qui dans un silence assourdissant voit le jeune et frêle comptable de Cleveland quitter le monde civilisé en train pour le far ouest. Progressivement, les hommes et les femmes propres et bien habillés disparaissent au profit de trappeurs patibulaires, hirsutes et armés jusqu'aux dents. La ville terminus du train, la bien nommée "Machine" qui fusionne mécanisation industrielle et sauvagerie du far ouest est une assez bonne illustration de l'enfer américain (un "négatif" bien ironique). Cette halte est par ailleurs l'occasion de croiser quelques grands acteurs dont Robert Mitchum dans son dernier rôle, celui du patron/seigneur de guerre Dickinson entouré de ses sbires. Ensuite vient la deuxième partie du voyage, celle de la cavale contemplative dans la forêt avec pour guide spirituel "Nobody", amérindien atypique parce que métissé ethniquement et culturellement (ce qui en fait objectivement un déraciné, hors du monde et hors du temps). Lui voit en William Blake l'incarnation du poète britannique homonyme dont il connaît l'œuvre par cœur et dont il veut sauver l'âme à défaut du corps. Privé de tabac (à mon avis c'est une private joke tant ce film semble avoir été fait sous l'influence de substances diverses et variées ^^) il lui reste l'ivresse des vers du poète qu'il accompagne jusqu'à son dernier voyage au pays des morts. Voyage vers l'au-delà qui prend alors la forme d'une traversée en barque le long d'un fleuve (comme dans l'Egypte antique) jusqu'au miroir, là où le ciel et la mer se rejoignent.

De façon magistrale, cet anti-western chamanique déconstruit la mythologie du far ouest et de façon plus large, celle de la conquête de l'Amérique par l'homme blanc en renversant les notions de sauvagerie et de civilisation. Les blancs sont montrés comme des dégénérés (le personnage monstrueux de Cole Wilson cumule les pires tares dont l'homme est capable) alors que l'Indien empli de noblesse est l'exemple même de la sagesse et de la sérénité. La culture blanche importée en Amérique est montrée sous son angle le plus repoussant (le culte du flingue, de la machine, de l'argent, l'évangélisation qui prend la forme d'un ethnocide motivé par la haine raciste). En chaussant les lunettes de Blake (le film est parsemé de private joke ^^), Nobody s'affirme comme étant le vrai lettré de l'âme là où les blancs pataugent dans leur fange de bêtise, d'ignorance et de sauvagerie. 

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