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Un motard corse pleine d'histoires

Un motard corse pleine d'histoires

Publié le 12 févr. 2023 Mis à jour le 12 févr. 2023 Technologie
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Un motard corse pleine d'histoires

 

Il a d'abord enfourché les vélos que son grand-père vendait. Puis les premières mobylettes italiennes, avant les gros cubes japonais. Jeannot Nonza a passé sa vie sur deux-roues et en a fait son métier. Jusqu'à faire de son nom, une marque

 

À 77 ans, vous pourriez encore croiser Jeannot Nonza sur son scooter, un pneu autour du ventre, occupé à ravitailler le magasin de Biguglia. L'homme n'a que faire des recommandations d'Elisabeth Borne sur l'âge de la retraite : il a encore et toujours la passion des deux-roues, perpétuant, à Lupino, un commerce ouvert dès 1913 par son grand-père Sampiero, route du Cap, devenue Luce de Casabianca. L'œil doux, toujours svelte, sourire en amorce, il aime être à la concession, avenue de la Libération, au milieu des Ténéré, des Vespa, dans ces parfums de pneumatiques fraîchement arrivés, de plastiques neufs.

 

Surtout, il goûte chaque jour la présence ici même de sa femme Michelle, son fils, Jean-Albert, son beau-fils Jean-Toussaint, sa petite fille Michèle, et même son petit-fils Jean-Joseph. Une histoire de famille, rare, sur cinq générations.

 

« Mon grand-père a démarré comme tapissier en meubles, précise-t-il. C'est après la Seconde Guerre mondiale qu'il a fait de la location et de la vente de vélos notamment en récupérant tous les vélos abandonnés par les Italiens. Avec mon père et ma mère, ils ont pris un local, pour faire magasin, rue de l'Opéra pour vendre les vélos. Route du Cap, c'est devenu le dépôt et l'atelier. En plus de la boutique, il y avait une pièce au 6e étage pour stocker les vélos neufs. En grandissant, j'allais les chercher, sur le dos. Au début j'en portais un. À la fin, quatre… »

 

Dans le fourgon pour le Tour de Corse vélo

 

Dans cette jeunesse un brin enchantée, Jeannot va s'intégrer à l'entreprise naturellement. Il embarque le dimanche à bord du fourgon pour faire le tour des gendarmeries « parce qu'en ce temps-là, chaque gendarme devait avoir un vélo. C'était une obligation. On allait en plaine et sur l'autre côte, jusqu'à Galeria. On apportait des selles, des chambres à air… les tragulini du vélo ! ».

 

Il faut se remettre dans ces temps de l'après-guerre, quand la bicyclette n'était pas appelée la Petite Reine pour rien. Tout le monde avait son biclou, tout le monde bricolait ses rustines, plus qu'une mode, un phénomène de société. Et pour le Tour de Corse à vélo, événement phare de la saison sportive, Jeannot Nonza embarquait encore à bord du fourgon de son père, voiture-balai de l'événement. « Il y avait une infirmière et moi comme passagers. On ramassait les coureurs qui chutaient, ils avaient heureusement souvent juste des plaies superficielles. Moi, j'avais sept, huit ans, j'ouvrais des yeux immenses. »

 

La jeunesse à Bastia, c'est avec Jean-Pierre Manzagol, Henri Ginanni, Jean-Claude Buron, Marc et François Vescovali, aux « maisons roses », entre le consulat italien et la rue de l'Opéra. Des journées de courses de vélo, forcément, en barrant la rue, avec Louis Galigani. En danseuse sur leur Thomas-Rosset, Metropole, Gitane… Le temps des courses de carrosses aussi, sous les fenêtres du commissariat alors rue Miot. Il y avait du foot bien sûr au stade du CAB, à Montesoro. Et puis la mer à Toga, évidemment. C'était les années 50, les enfants prenaient les rues d'assaut pour jouer, courir, s'amuser. Les bandes se formaient, avec le seul plaisir d'être ensemble.

 

« Quand j'ai eu 13 ou 14 ans, les mobylettes sont arrivées, se souvient Jeannot Nonza. Nous allions les chercher directement à la sortie du bateau et on les remontait une par une, au dépôt. C'est à cette époque que j'ai eu ma première 49 cm3, une Paloma. Elle avait trois vitesses et montait à 75 km/h. Quelques mois après sont arrivées les Flandria et elles, elles avaient quatre vitesses. C'était la révolution. Avec les copains, on partait presque tous les jours faire un tour à Miomo. Parfois, on prenait la route pour deux jours jusqu'à Île-Rousse ou Olmi-Cappella. On dormait dans des granges et on gardait les casques la nuit parce qu'on avait peur que les souris nous mordent les oreilles ! » Ce sont les débuts de l'âge de la moto. La concession Nonza, tenue par son père Albert et sa mère Virginie, vend des marques françaises aujourd'hui oubliées : des Terrot, des Gnome et Rhône. Des Malaguti aussi.

« Les motos japonaises c'était comme l'arrivée de la télé »

 

Dans cette jeunesse où, il le reconnaît, l'école n'aura pris qu'une petite part à travers un diplôme de commerce, sa vie va prendre un tournant en 1966. Attablé avec des amis à un café, il a le coup de foudre. « J'ai vu cette fille et je suis resté, vraiment, bouche bée… » Michelle, qui allait devenir son épouse, se souvient de cette journée : « J'étais avec une amie. Lui était à ce qui devait être Le Richelieu. Nos regards se sont croisés. Il a réussi à savoir mon nom. Il m'a fait la cour. À l'époque, on ne se montrait pas comme aujourd'hui. » Jeannot coule un regard débordant d'affection pour celle qui vient toujours, elle aussi, assurer l'accueil au magasin.

 

La vie professionnelle va également connaître un tour décisif à la fin des années 60 : c'est le début des motos japonaises. « Les clients venaient voir quand on déballait les machines, se souvient Jeannot. C'était comme l'arrivée de la télévision. Elles étaient flambantes, magnifiques. C'était comme… passer d'une montre Seiko à une Rolex. Pareil. Les selles étaient plus larges, les phares au top, on entendait juste l'échappement. Nous ne faisions pas une marque en particulier mais il y a d'abord eu Honda, Suzuki, puis Kawasaki, Yamaha. »

 

Sa première japonaise sera une Honda 750 CB, rouge. Quatre pots d'échappement, un engin de rêve. Il en aura une autre juste après, couleur or cette fois. Le succès commercial est total, à Bastia comme sur le reste de la planète. Et en 1973, la concession déménage, cette fois à Lupino, boulevard de la Libération. « On sentait bien à cette époque déjà que le développement se faisait au sud de la ville. Nous avons été parmi les premiers à nous installer. » Le local est plus grand, il comporte un sous-sol avec un atelier. Nonza devient à son tour une marque. Les mobylettes se modernisent à leur tour et c'est l'arrivée des fameux Ciao. Ô temps bénis de cette bécane incroyable : « Ils arrivaient par camion de 70 ! Les clients venaient au dépôt choisir leur couleur. »

 

En privé, Jeannot continue de rouler, de vivre de cette passion. Il sera longtemps derrière le guidon d'une Kawasaki GPZ 750, sans doute la moto qui l'a le plus séduit, par sa tenue de route, sa souplesse. Gourmand de sensations, sans jamais être un fou de vitesse, il va aussi prendre un GTR 1000, chez Kawa aussi. Dans ces conditions, forcément, les envies d'escapades fleurissent. Toujours entouré d'amis, Jeannot va tailler la route en Sardaigne, en Italie continentale. Des sorties de deux, trois jours.

 

« J'adorais ces moments de liberté. Comme j'adorais mon métier. Le contact avec les commerciaux, les échanges sur les machines, parler des nouveautés, des projets, c'était fantastique. Chaque année, on se retrouvait sur les salons de Milan, Paris ou Lyon. De temps en temps, avec les ventes, on gagnait des voyages, cela faisait partie du job. Je me souviens d'un voyage à Kyoto pour visiter l'usine Yamaha. Hallucinant ! Le vrai choc des cultures. Une discipline inimaginable. Mais ce temps est fini… »

 

Heureux d'être entouré de sa famille à la concession, Jeannot Nonza ne sert pas le couplet habituel du « c'était mieux avant ». Il sait juste que c'était différent. Et profite de cette drôle de retraite pour slalomer entre les modèles, un œil aiguisé sur cette fourche, ce moteur, sur les nombreux casques en exposition. Derrière le comptoir, Jean-Albert, 51 ans, l'observe avec une pudique tendresse : « Il est facile à vivre mon père. Heureusement qu'il est encore là, il nous rend de sérieux coups de main. Et puis une passion, ça ne s'explique pas. »

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