Les Guichets du Louvre (Michel Mitrani, 1974)
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Les Guichets du Louvre (Michel Mitrani, 1974)
C'est au moment de la sortie de "La Rafle" en 2010 que l'on s'est brusquement souvenu des "Guichets du Louvre", le premier film français consacré à la rafle du Vel d'Hiv, sorti en 1974 qui était depuis tombé dans l'oubli.
Les années 70 marquent en effet en France le réveil des mémoires de la seconde guerre mondiale jusque-là occultées par le résistancialisme du Général de Gaulle selon lequel les français auraient été tous résistants ("la France n'a pas besoin de vérités, la France a besoin d'espoir"). "Le Chagrin et la Pitié" de Marcel Ophüls sorti en 1969 en dépit des conditions difficiles de sa diffusion est un tournant qui ouvre la porte à d'autres films explorant la réalité de la collaboration comme "Lacombe Lucien" de Louis Malle sorti la même année que les "Guichets du Louvre" ou "Monsieur Klein" de Joseph Losey sorti en 1976.
A l'origine des "Guichets du Louvre", il y a le livre éponyme de Roger Boussinot écrit vingt ans après les faits qui raconte en détails le déroulement de la funeste journée du 16 juillet 1942 à laquelle il a pris part essentiellement en tant que témoin. Alors étudiant d'obédience anarchiste, il a essayé avec d'autres jeunes de sauver (en vain) des juifs. Son impuissance l'a plongé dans une amnésie traumatique dont il a mis 20 ans à sortir "la première censure infligée à ce récit fut la difficulté, pour moi-même d’accepter ce souvenir." Son livre s'est ensuite heurté à une censure plus officielle car il y mettait en cause les protagonistes français de la rafle: la police du régime de Vichy, la gendarmerie mobile et les membres du PPF (parti populaire français de Jacques Doriot, un mouvement fasciste, véritable pépinière de futurs miliciens). Rappelons qu'il fallut attendre 1995 pour que le président Jacques Chirac reconnaisse officiellement la collaboration de l'Etat français à la Shoah.
Le film de Michel Mitrani propose une véritable immersion dans le récit du livre qui se déroule quasi-intégralement dans le quartier du Marais, bouclé par la police pour y rafler les juifs tout au long de la journée (la rafle s'est d'ailleurs poursuivie le lendemain). En 1974, le quartier n'avait pas été rénové et la reconstitution minutieuse produit un saisissant effet de réalisme. Il en va de même en ce qui concerne les réactions des protagonistes. Le jeune homme se heurte à la passivité, l'incrédulité ou la méfiance des juifs qu'il vaut sauver d'autant que la mission consiste à entraîner avec lui une femme et/ou des enfants ce qui le fait passer au choix pour un violeur ou pour un pédophile. Quant aux policiers et aux témoins non-juifs (dont Paul, le héros de l'histoire et double de Boussinot), ils ne sont pas univoques, il y en a qui font du zèle et se réjouissent, d'autres s'indignent et font de la résistance passive ou active, la majorité étant tout simplement indifférente.
Si le film n'a cependant pas réussi à marquer les mémoires, c'est en raison de la faiblesse de son intrigue principale, celle de la rencontre amoureuse éphémère entre Paul (Christian Rist) et Jeanne (Christine Pascal), la jeune fille juive qu'il tente d'escorter hors de la zone dangereuse. Leur histoire traîne en longueur, se répète beaucoup et se perd dans les sables. Leurs réactions à lui et à elle manquent de subtilité. Il aurait mieux valu sacrifier cette histoire au profit d'une narration moins classique où seul l'aspect kafkaïen de la trajectoire du héros aurait été conservé. Il y aurait gagné en puissance.