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Le Messager (The Go-Between, Joseph Losey, 1971)

Le Messager (The Go-Between, Joseph Losey, 1971)

Published May 29, 2021 Updated May 29, 2021 Culture
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Le Messager (The Go-Between, Joseph Losey, 1971)

J'avais le souvenir d'un film cruel, j'ai revu un film que je trouve toujours aussi cruel. Cruel et désespéré. Avec cette précision d'entomologiste qui le caractérise (mais qui rendent également beaucoup de ses films froids) Joseph LOSEY filme la société britannique de la Belle Epoque comme une belle toile silencieuse (car marquée par le non-dit) qui cache une fosse aux lions féroce dans laquelle les plus forts mangent les plus faibles. Fosse ou plutôt fossé des classes sociales et des générations dans laquelle ce sont les aînés et les plus riches qui dévorent les plus jeunes et les plus pauvres. Le pauvre Léo a le malheur d'être l'un et l'autre: il sera doublement victime, de sa condition sociale modeste et de la naïveté de sa jeunesse. Mal invité par un milieu dont il ne saisit pas les codes, son inconfort est symbolisé par son costume d'hiver inadapté à la chaleur. Lorsqu'il est rhabillé d'un costume vert, c'est pour mieux faire ressortir son origine étrangère. Je ne sais pas si Joseph LOSEY a choisi cette couleur en référence aux martiens pour caractériser l'enfance ostracisée mais son premier film qui était une parabole anti-raciste s'intitulait "Le Garçon aux cheveux verts" (1948). Léo ainsi "stigmatisé" devient à son insu le larbin de celle qui a choisi son costume (en référence sans doute au valet de pied dont la livrée était justement de couleur verte) à savoir la belle Marian (Julie CHRISTIE) dont il est amoureux. Celle-ci va abuser de sa naïveté en manipulant ses sentiments pour transgresser les règles de son milieu et avoir une liaison avec le très séduisant et sensuel métayer du coin, Ted Burgess (Alan BATES) qui met également l'enfant dans sa poche lorsqu'il comprend comment il peut s'en servir. Bien sûr, Marian et Ted sont à la fois bourreaux et victimes (de leur condition sociale et pour Marian, de son genre, tout cela étant montré lors de scènes éloquentes), leur échappée sans issue les condamnant tous deux à un sort sinistre. Mais lorsque la génération des parents, symbolisée par la mère (Margaret LEIGHTON) rétablit brutalement l'ordre, elle brise également l'enfant qui perd son innocence, ses illusions et sa confiance en l'humanité. De façon très habile, Joseph LOSEY renverse le principe du flashback en faisant du passé le présent de son film alors que le présent qui se situe cinquante ans plus tard n'apparaît que par d'énigmatiques plans-éclairs fantomatiques, à l'image du gâchis de la vie des personnages. Car en procédant ainsi, il montre combien ce passé reste présent et continue à les hanter. Que ce soit Marian qui vit dans la nostalgie de cet amour qu'elle a idéalisé voire sacralisé, son petit-fils avec lequel elle ne peut pas plus communiquer qu'elle ne le faisait avec Ted ou Léo qui est resté sous son emprise en s'empêchant de vivre. Emprise dont il lui est donné une dernière fois de se défaire.

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