Y aura-t-il de la neige à Noël? (Sandrine Veysset, 1996)
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Y aura-t-il de la neige à Noël? (Sandrine Veysset, 1996)
A la frontière du drame social, du documentaire naturaliste sur le monde rural des années 70 et du conte, "Y aura-t-il de la neige à Noël?" est un film tout à fait atypique dans le paysage cinématographique français. Son histoire est elle-même digne d'un conte puisque la réalisatrice, Sandrine VEYSSET qui n'était pas issue du sérail et n'avait jamais pensé faire du cinéma a réussi à réaliser son premier film grâce à deux rencontres décisives. La première, avec Leos CARAX pour qui elle travaillait sur "Les Amants du Pont-Neuf" (1991) en tant que assistante-décoratrice et surtout chauffeur. Comme dans "Drive My Car" (2021), celui-ci l'écoute raconter son enfance et l'encourage à la transformer en récit. On mesure la fidélité de Sandrine VEYSSET à celui qui lui mis le pied à l'étrier au fait qu'elle a récemment réalisé "Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus", le très beau documentaire sur la création et l'animation de la marionnette qui est au coeur de "Annette" (2019), encore un conte, décidemment! La deuxième rencontre décisive fut avec le producteur Humbert BALSAN qui fut le seul à lui laisser une liberté inconditionnelle pour la réalisation de son film, succès-surprise tant critique (prix Louis-Delluc, César du meilleur premier film) que public grâce à un excellent bouche-à-oreille.
"Y aura-t-il de la neige à Noël" frappe d'abord par la manière dont s'emboîtent harmonieusement deux genres a priori plutôt opposés: le réalisme documentaire décrivant un monde âpre fait de pauvreté et de pénibilité et une esthétique recherchée tant picturale (on pense par exemple à Millet et autres peintres de la ruralité) et photographique qui nous projette dans l'univers des teintes et des costumes des années 70. Il en va de même avec ce que raconte ce film, très proche du vécu des petites gens des années 70 mais en décalage avec le récit officiel, celui d'une modernité dont les personnages du film ignorent à peu près tout. Tout semble archaïque en effet dans le film, tant au niveau des conditions de vie que des moeurs comme si l'univers campagnard décrit par Sandrine VEYSSET n'avait pas évolué depuis l'époque féodale. On y voit en effet une mère célibataire et ses sept "bâtards" (un mot qui en dit long sur le fait que mai 68 n'avait pas atteint les campagnes, pas plus que la contraception ou l'avortement alors que le chiffre sept renvoie évidemment au conte de Blanche-Neige et des sept nains) trimer aux champs et à la ferme sous la houlette intermittente du patriarche tyrannique. Le film offre en effet un panorama édifiant du système patriarcal le plus opprimant qui n'a rien à envier à celui que l'on ne cesse aujourd'hui de dénoncer chez "les autres" (dans les anciennes colonies notamment ou dans les pays musulmans). Régnant sans partage sur un large domaine en seigneur et maître, le "père" (qui n'a pas d'autre appellation dans le film) est un séducteur compulsif du genre trousseur de domestiques, un polygame qui navigue entre ses deux familles, l'officielle et celle de l'une de ses boniches ramassée à l'assistance publique dont il a fait sa favorite mais qu'il engrosse à la chaîne pour l'enchaîner un peu plus à lui alors qu'elle est déjà totalement dépendante de son bon vouloir et doit subir ses crises de jalousie, sa goujaterie et sa radinerie (entre autres). Il se comporte pareillement envers ses enfants qu'il exploite tout en les privant (d'électricité ou de chauffage par exemple) sans parler de l'ultime preuve de son besoin de domination qui est l'attitude incestueuse qu'il adopte envers sa fille aînée lorsqu'il la surprend en train de s'amuser avec un jeune garçon extérieur à l'exploitation. C'est que dans l'imaginaire de ces tyrans domestiques, le besoin de contrôle est absolu: les seules personnes autorisées à travailler à la ferme en dehors de sa seconde famille sont les fils du premier lit, adultes mais totalement soumis eux aussi et des travailleurs agricoles marocains qui ne sont pas en position de réclamer quoi que ce soit.
Face au pouvoir absolu de cet homme qui apparaît également comme un ogre de conte de fées, la "mère" (elle aussi n'est appelée qu'ainsi) joue un rôle complexe. Débordante d'amour pour ses enfants, elle les protège autant qu'elle le peut et le talent de Sandrine VEYSSET à filmer la magie de l'enfance ainsi que l'aspect esthétique (une atmosphère chaleureuse issue de la lumière en été, de la féérie de noël en hiver) confère au film un aspect proprement merveilleux: jeux dans les bottes de paille, avec une ferme miniature ou dans la neige, légumes transformés en bateaux, trajet à l'école en groupe sous une bâche, chahuts le soir dans la chambre. Le père lui-même apprécie ponctuellement de s'immerger dans ce qui est un lieu de vie, de mouvement, de désir aussi, celui que la mère a toujours pour lui alors que l'ambiance dans sa famille officielle est celle d'un tombeau. Néanmoins, au fil des saisons qui s'assombrissent et de l'attitude de plus en plus oppressante du père, la vitalité de la mère est peu à peu asphyxiée ("de l'air" dit un de ses fils en voyant le père partir) au point d'envisager la mort comme seule issue et l'on mesure alors à quel point l'emprise de cet homme (économique, juridique mais aussi psychologique) est puissante ainsi que le fait qu'en dépit d'évolutions considérables, elle a encore de beaux restes de nos jours.