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Une chambre en ville (Jacques Demy, 1982)

Une chambre en ville (Jacques Demy, 1982)

Published May 18, 2020 Updated May 18, 2020 Culture
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Une chambre en ville (Jacques Demy, 1982)

" Il y a peu de films que j'ai voulu comme celui-là. Peu de films que j'ai rêvé comme celui-là" (Jacques Demy)

Une chambre en ville traverse en effet toute l'oeuvre créatrice de Jacques Demy. Au début des années cinquante, il pense en faire un roman dont il écrit les premiers chapitres. Dans les années soixante-dix, il tente d'en faire un film mais des désaccords avec les acteurs puis des difficultés de production bloquent le projet. Le film sort finalement en 1982 après la victoire de François Mitterrand car c'est sa belle-soeur (Christine Gouze-Raynal) qui le produit.

Une chambre en ville porte en lui toutes les caractéristiques de ses prédécesseurs. Pour la deuxième fois après Lola, Jacques Demy tourne l'intégralité du film à Nantes, sa ville d'origine. Comme dans les Parapluies de Cherbourg il s'agit d'un opéra entièrement chanté. Comme dans les Demoiselles de Rochefort, on retrouve Danielle DARRIEUX interprétant ses propres chansons et Michel Piccoli. Comme dans Peau d'Ane, Edith est recouverte d'un manteau de fourrure. Enfin comme dans Lady Oscar, l'émeute se substitue à la fête, l'héroïne (une aristocrate qui tombe amoureuse d'un ouvrier gréviste) découvre la nécessité de la révolte, apprend à assumer sa nudité et la réalité physique de l'amour tandis que le destin des amants débouche sur la mort.

Mais dans Une chambre en ville, la blancheur de Lola et les pastels des Parapluies et des Demoiselles ont définitivement viré au rouge sang et au verdâtre glauque. Le générique (un soleil au-dessus du pont transbordeur qui change progressivement de couleur) l'annonce clairement. En dépit de son caractère flamboyant, le film représente surtout la part souterraine et "serpentine" de l'oeuvre de Jacques Demy (tout comme son film suivant, Parking, beaucoup moins réussi). Celui-ci y expose en particulier de façon crue les affres d'une sexualité tourmentée et mortifère. A la douce Violette s'oppose ainsi la sulfureuse Edith, racolant les passants nue sous son manteau de fourrure. D'un côté le bonheur paisible, sans surprise et familial, de l'autre la passion qui consume et dévore, imprévisible et jamais satisfaite, promise à l'anéantissement et à la mort. Quant à Edmond (joué par Michel Piccoli), le mari d'Edith c'est un psychopathe qui cumule les tares: impuissance, jalousie, avarice, perversité (Il surnomme Edith qui dépend de lui financièrement "ma jolie pute" tout en la traitant de "petite fille", encore une ambivalence bien malsaine). Son magasin de télés du passage Pommeraye ressemble à un aquarium verdâtre rempli de vase.

La mise en pièces de l'univers acidulé des années 60 (qui était en fait un cache-sexe) a déconcerté le public. Certains de ses collaborateurs également. Ainsi Michel Legrand, compositeur de la plupart des films de Demy a refusé de faire celle d'Une chambre en ville en lui disant "ce n'est pas toi", un comble quand on sait ce que signifie cette oeuvre pour son créateur!! Et aujourd'hui encore, Legrand reste braqué et obtus, dénigrant systématiquement un film dont le seul tort est de déranger l'image lisse et rassurante que le public veut avoir de Jacques Demy. Le film a donc été un échec commercial dont il ne s'est jamais remis: " Le rendez-vous manqué du public fut une blessure profonde et marqua une cassure dans sa vie d'artiste." (Rosalie Varda)

Fort heureusement ce que la musique composée par Michel Colombier perd en swing, elle le gagne en puissance et en lyrisme. Les combats de rue de 1955 entre grévistes des chantiers navals de Nantes et CRS donnent lieu en particulier à des choeurs assez ébouriffants. Pour peu que l'on accepte la part sombre de Jacques Demy et les conventions si particulières de son cinéma, Une chambre en ville mérite d'être réhabilité (c'est déjà le cas auprès d'une grande part de la critique). C'est le diamant noir de sa filmographie.

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