Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976)
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Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976)
"M. Klein" est un film brillant, complexe et dérangeant, se prêtant à de multiples niveaux de lecture (et tout autant de pistes d'interprétation, le film apportant plus de questions que ne donnant de réponses). La principale question que l'on peut se poser est la suivante "mais qu'est ce qui fait courir M. Klein derrière son double?" derrière laquelle s'en pose une autre "Qui est ce double"? En effet s'il est établi qu'il y a deux Robert Klein, l'un juif et résistant vivant à Pigalle dans un appartement miteux et l'autre (Alain DELON dans un de ses meilleurs rôles), défini comme un aryen profiteur de guerre vivant dans le luxe rue du Bac, il est tout aussi évident que ces deux Klein finissent par ne plus en faire qu'un. Le premier dont on ne voit jamais le visage s'avère parfaitement insaisissable au point que l'on peut finir par douter de son existence réelle. Une autre piste possible est le fait qu'en découvrant son homonyme, il ait usurpé son identité pour mieux s'évanouir dans la nature. Enfin une troisième piste parfaitement possible réside dans le fait que Robert Klein endosse une identité qui a priori n'est pas la sienne parce qu'il éprouve des remords. Dépeint dès le générique comme un vautour atteint d'une flèche en plein coeur mais qui continue de voler, on le voit s'enrichir sur le dos des juifs obligés de brader leurs oeuvres d'art à cause des persécutions du régime de Vichy qui s'accentuent en 1942. L'un d'entre eux, joué par Jean BOUISE semble particulièrement lui peser sur la conscience puisqu'il refuse de se séparer du tableau qu'il lui a acheté et on retrouve juste derrière lui au Vel d'Hiv et dans le train de déportés comme une ombre après laquelle il court. Cette ombre (autre poste possible) c'est peut-être aussi un secret de famille. La scène avec le père laisse suspecter que celui-ci lui ment au sujet des origines des Klein. Ce qui expliquerait aussi pourquoi celui-ci traite avec autant de dédain les documents censés soit prouver sa véritable identité soit lui en donner une fausse: peut-être qu'au fond ils se valent tous.
Car c'est l'autre aspect qui rend "M. Klein" fascinant et glaçant, c'est l'un des meilleurs films qui existent sur l'enfer bureaucratique. Le régime de Vichy est montré comme un système kafkaïen servant à fabriquer des ennemis de papier à partir de clichés antisémites stigmatisant le patronyme, l'apparence physique ou certains traits de caractère comme la cupidité. Ce n'est pas la religion qui définit "le juif" aux yeux de ce régime. Officiellement, c'est l'origine des grands-parents (d'où les certificats mais ceux-ci pouvant être falsifiés comme tous les papiers, ils s'avèrent inutiles) mais le fait de s'appeler "Klein" ou d'avoir une physionomie de type sémite ce qui donne lieu à une scène d'introduction glaçante dans laquelle une femme nue est examinée comme un cheval afin de déterminer si "elle en est". Nul doute que le simple fait de se soumettre à un pareil examen médical faisait de vous un suspect. Klein l'a compris mais en revanche il commet l'erreur fatale de se fier aux règles, aux lois et aux institutions pour tenter de retrouver sa véritable identité. C'est en mettant un doigt dans l'engrenage qu'il se retrouve bientôt englué jusqu'au cou dans une vaste machination qui le dépasse dans laquelle ses "amis" apparaissent comme aussi peu certains que lui-même.
Ajoutons que "M. Klein" est l'un des premiers films reconstituant (même schématiquement) la rafle du Vel d'Hiv car il a réalisé dans les années 70, période où le tabou entourant le rôle du régime de Vichy dans la Shoah commençait à tomber.