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Chapitre 51

Chapitre 51

Published May 29, 2025 Updated May 29, 2025 New Romance
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Chapitre 51

Paule


Je reste dans la maison tout l’après-midi, sans oser vraiment m’installer nulle part. La mère de Samuel, discrète, silencieuse, me laisse seule, comprenant mieux que quiconque ce que signifie cette attente. Elle s’est retirée dans sa chambre, ou dans le jardin — je ne sais pas, je ne demande pas. Chacune de nous respecte le battement suspendu de cette journée : Samuel est parti affronter quelque chose qu’on ne peut ni accompagner, ni nommer à sa place.


Je ne regarde pas l’heure. Je ne veux pas être cette femme figée devant une horloge. Je veux lui laisser le temps. Le vrai. Pas celui des aiguilles, mais celui qui s’étire dans la gorge, dans la poitrine, dans les gestes retenus.


Je passe mes doigts sur la céramique d’un vase, j’observe les nervures d’un rideau qui ondule dans le courant d’air. Je prépare du thé, que je ne bois pas. Je relis quelques pages d’un roman, sans parvenir à en retenir une seule phrase. Chaque bruit, dehors, chaque portière qui claque, chaque pas sur le gravier, fait battre mon cœur plus vite — puis rien. Le vide revient. Il repart.


Je ne sais pas ce que j’attends exactement. Qu’il revienne brisé ? Apaisé ? Silencieux ? En colère ? Peut-être tout à la fois. Peut-être rien de ce que j’imagine.


Et puis, vers la fin de l’après-midi, alors que le soleil incline ses rayons vers l’ouest, j’entends la porte.


Pas un fracas. Pas une arrivée spectaculaire. Juste… la porte. Qui s’ouvre. Qui se referme. Et ses pas, ensuite.


Je reste dans le salon. Je ne me précipite pas. Je ne veux pas voler ce moment. Je veux qu’il vienne à moi.


Il apparaît dans l’embrasure. Et tout de suite, je sais.


Il a les cheveux un peu en bataille, les traits tirés, le regard grave. Il n’est pas effondré. Il n’est pas triomphant. Il est… autre. Comme s’il a laissé quelque chose là-bas, dans cette maison qui l’a construit à force de silence, et qu’il revient avec plus de place en lui.


Il me regarde sans parler.


Et moi, je ressens ce qu’aucune phrase ne pourrait mieux exprimer : il est revenu. Pas juste physiquement. Entièrement. Il est là. Enfin.


Je me lève. Lentement. Je traverse la pièce. Pas vite. Pas comme dans ces scènes de retrouvailles où les corps se précipitent. J’ai besoin de le rejoindre avec la même lenteur qu’il a mise à revenir à lui.


Arrivée devant lui, je ne demande rien. Je ne cherche pas ses mots. Je lève juste la main, très doucement, et je la pose contre sa joue.


Il ferme les yeux.


Et dans ce simple geste, je sens une vérité plus forte que n’importe quel récit : il a tenu. Il s’est tenu droit face à ce père qui l’a nié, face à ce passé qui l’a enchaîné. Et maintenant, il me laisse toucher l’homme qu’il est devenu. Pas pour être consolé. Pas pour être applaudi. Mais pour être vu.


— Tu veux t’asseoir ? je murmure.


Il hoche la tête. Il se laisse guider jusqu’au canapé. Il s’assoit, le dos contre le dossier, les mains sur les cuisses. Un souffle long s’échappe de lui, comme s’il vient, enfin, d’expirer tout ce qu’il a retenu.


— Tu veux parler ? je demande, sans le presser.


Il secoue doucement la tête. Pas encore. Pas tout de suite.


Alors je m’assieds près de lui. Pas trop près. Juste assez pour qu’il sente que je suis là. Que je serai là quand il aura envie de poser les mots.


Nous restons comme ça longtemps. Sans gestes. Sans phrases.


Mais dans ce silence-là, il y a tout.

La blessure.

La traversée.

Et la paix, enfin, qui commence à poindre, fragile, mais réelle.


La nuit tombe sans bruit sur la maison. Il n’y a pas de vent, pas de voix dans les rues, juste cette lente descente du jour vers l’obscurité, comme un drap qu’on tire pour envelopper les choses fatiguées. Ma mère de Samuel s’est retirée tôt, discrète comme toujours, nous laissant seuls dans cette maison qui n’est pas vraiment la nôtre mais qui, ce soir, semble nous accueillir comme un refuge.


Nous avons dîné en silence. Rien de cérémoniel. Un peu de soupe, du pain, un verre d’eau. Samuel n’a presque pas mangé. Il a tenu sa cuillère entre ses doigts sans vraiment l’utiliser. Ce n’était pas un refus. C’était une fatigue plus grande que la faim. Une fatigue de l’intérieur, qui pèse dans les os et derrière les paupières. Il a levé les yeux vers moi une ou deux fois, comme pour s’assurer que je suis toujours là, que je ne me suis pas détournée. Je n’ai rien dit. Je n’ai pas besoin de parler. Ce soir, les mots ne sont pas les bienvenus. Ce soir, la place est à ce qui ne s’explique pas.


Dans la chambre, la lumière est douce, tamisée par une lampe en porcelaine posée sur la table de chevet. Je me suis changée en silence, glissant dans un vieux t-shirt ample, les cheveux encore humides de la douche. Quand je reviens, Samuel est déjà assis sur le lit, dos droit, jambes allongées, vêtu simplement d’un tee-shirt noir et d’un pantalon de coton. Il regarde devant lui, sans bouger. Il ne semble pas perdu. Il semble… vidé. Comme s’il a tout donné, tout versé, et qu’il ne reste plus rien à dire.


Je m’approche sans bruit. Je prends place à ses côtés, le matelas s’enfonçant légèrement sous mon poids. Je ne pose pas de questions. Je me contente de rester là, à quelques centimètres de lui, dans cette proximité tranquille qui ne demande rien, mais qui offre tout.


— Je ne sais pas ce que j’ai fait exactement, murmure-t-il. Mais ça ne fait plus mal.


Sa voix est rauque, presque un souffle, comme si chaque mot doit traverser un couloir étroit entre sa gorge et sa peur.


Je le regarde, longuement, avant de répondre.


— Tu t’es libéré, Samuel. C’est ce que tu as fait.


Il hoche la tête, lentement, comme s’il n’ose pas encore croire que c’est possible. Puis il tourne le visage vers moi. Dans ses yeux, il y a de la fatigue, oui, mais aussi quelque chose de plus rare : une forme de paix en construction. Une esquisse encore fragile, mais présente.


— J’ai cru, pendant longtemps, que le silence c’était ma force. Que ne pas parler, ne pas flancher, c’était être fort. Et puis j’ai vu son regard aujourd’hui… Et j’ai compris. Ce silence-là, c’était le sien. Pas le mien.


Je ne réponds pas. Il n’attend pas une validation. Il a juste besoin de déposer ce qu’il ramène de cette maison.


Il passe une main dans ses cheveux, puis se laisse tomber doucement en arrière, le dos contre les oreillers. Je le suis. Je m’allonge près de lui, sur le flanc. Nous sommes côte à côte, sans nous toucher, mais nos souffles se répondent.


— Je n’aurais pas pu le faire sans toi, souffle-t-il en regardant le plafond.


— Tu l’as fait seul, Samuel. Moi, je t’ai juste attendu.


Il tourne la tête vers moi, et cette fois, sa main vient chercher la mienne. Il la prend avec lenteur, comme s’il ne veut pas rompre ce silence qui, enfin, nous appartient à tous les deux.


— Tu m’as attendu, oui. Mais tu ne m’as pas demandé d’être différent. Tu m’as regardé sans essayer de corriger ce que tu voyais. Et ça… ça m’a sauvé plus que tu ne pourras jamais le mesurer.


Je me rapproche. Juste assez pour poser mon front contre le sien.


— Je ne veux pas te sauver, Samuel. Je veux te voir entier. Même quand c’est dur. Même quand ça tremble.


Il ferme les yeux. Un soupir long, lourd, s’échappe de lui, comme si, enfin, il peut dormir dans un endroit où rien ne lui est demandé.


— Je suis fatigué, Paule. Mais pour la première fois… pas usé.


Je ne réponds pas. Je me blottis contre lui, ma tête contre son épaule, nos jambes à peine mêlées.


Et nous glissons, doucement, sans résistance, dans ce sommeil qu’on n’atteint qu’après les grandes traversées.


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