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Chapitre 22

Chapitre 22

Published May 28, 2025 Updated May 28, 2025 New Romance
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Chapitre 22

Nous avons choisi de nous retrouver tôt. Bien avant que le reste de la brigade n’arrive. Bien avant que les voix ne percent le silence et que les gestes ne deviennent automatiques. Il est à peine six heures. Le ciel est encore gris pâle, hésitant entre la nuit et le jour. La lumière qui filtre par les hautes fenêtres du laboratoire a ce quelque chose d’indéfinissable, comme suspendue entre deux mondes. Rien n’a encore commencé. Rien n’a encore été abîmé.


Et pourtant, tout est déjà en tension.


Je pousse la porte doucement. La cuisine est vide, paisible, presque irréelle dans son calme. Mais il est déjà là.


Samuel.


Debout devant la paillasse centrale, les bras croisés. Il a disposé les ingrédients à intervalles presque parfaits : les oranges sanguines, les fèves de tonka, les bocaux de kombucha, les graines de sarrasin torréfiées, quelques brisures de caramel qu’il a dû préparer lui-même. Il ne dit rien. Pas un mot. Pas un mouvement. Mais ses yeux sont sur moi. Calmes. Fermés. Et pourtant, toujours brûlants de cette chose qu’il ne nomme jamais.


Je me tiens à distance. Moi aussi, je suis venue armée.


— On commence par quoi ? je demande, d’une voix trop neutre pour être sincère.


Il fait un léger geste du menton, désigne les agrumes, les fèves.


— Par la base. Le socle. Il faut que ce soit surprenant sans être bavard. Équilibré, mais avec du relief. Comme toi, non ?


Je relève la tête. Il me provoque, bien sûr. Mais pas comme d’habitude. Il n’y a pas de venin. Juste une ironie presque douce. Presque tendre. Et c’est ça, justement, qui me trouble.


Je décide de ne pas répondre. J’attrape un zesteur et commence à travailler. Je fais couler l’huile de l’écorce d’orange entre mes doigts. Elle est vive, presque agressive. Samuel s’approche, se place à ma gauche. Il travaille en silence, lui aussi. Nos gestes sont différents, mais s’alignent. Par moments, nos coudes se frôlent, nos souffles se croisent. Une musique invisible s’installe. Nous avons le même tempo.


Et c’est peut-être ça, le plus dangereux.


Le silence devient trop plein. Trop dense. Alors je parle.


— Tu as toujours fait ça ? Couper les choses avant qu’elles deviennent réelles ?


Il ne répond pas tout de suite. Ses mains continuent de fouetter une base de ganache, méthodiquement, comme si mes mots ne l’atteignaient pas. Mais je le connais assez pour voir l’inflexion dans sa nuque, la tension de ses épaules.


— Ce n’est pas ce que j’ai fait. C’est ce que j’ai dû faire.


Je le regarde. Il a le dos tourné, mais je le sens déjà loin. Comme s’il s’échappait de lui-même pour éviter de rester au bord du gouffre.


— Tu te caches derrière la rigueur, Samuel. Derrière le contrôle. Tu préfères tout saboter plutôt que de prendre le risque d’être traversé toi-même.


Il se retourne. Ses yeux sont sombres, mais calmes. Trop calmes. Et dans ce calme-là, je lis tout. La blessure. La colère rentrée. La peur.


— Et toi ? Tu fais semblant de ne rien sentir. Tu gardes ton armure même quand tout hurle en toi. Tu refuses l’idée d’avoir besoin. T’es prête à tout perdre, tant que personne ne voit que tu tiens encore debout avec les genoux qui tremblent.


Je me fige. Chaque mot touche juste. Et c’est peut-être ça qui me révolte.


— C’est faux, je murmure, la voix trop basse pour convaincre.


— Non. C’est douloureux. Pas faux.


On se tait. L’air entre nous est chargé. Il brûle. On dirait qu’un orage s’est formé sans bruit. Je retourne à ma crème infusée. Il s’approche lentement, pose sa main sur mon poignet pour ajuster un geste. Il ne dit rien. Mais ce contact est trop précis. Trop intime.


Je sens sa chaleur. Son souffle. Sa concentration. Et quelque chose d’autre. Quelque chose de fragile.


— On est deux animaux blessés, toi et moi, souffle-t-il. On croit qu’on peut rester intacts si on garde nos distances. Mais regarde-nous.


Je le fixe. Mon cœur cogne. Il n’a pas haussé le ton, pas fait un geste brusque. Mais tout en lui vibre.


Je n’ai pas le temps de répondre. Addison entre.


Sa voix nous arrache brutalement à cette bulle. Elle nous salue d’un geste de tête, se penche sur le plan de travail sans remarquer — ou feindre de ne pas remarquer — que l’air est devenu irrespirable. Samuel recule, reprend son air impénétrable. Il me tourne le dos. Comme s’il n’avait jamais dit un mot.


Mais sa phrase reste là. Gravée quelque part entre mon poignet et ma cage thoracique.


Je continue à travailler, mécaniquement. Les gestes viennent d’eux-mêmes. L’esprit est ailleurs. À l’intérieur, quelque chose s’ouvre. Une pièce que j’avais fermée depuis longtemps. Je sens encore le frisson de sa main sur moi.


Un peu plus tard, alors que je me penche pour attraper une boîte dans le bas du frigo, je sens sa présence. Avant même qu’il parle.


Je me redresse lentement. Il me tend une boîte hermétique. Nos mains se frôlent. Il ne bouge pas. Il me regarde. Trop intensément.


— Tu as peur de quoi, au fond ? je murmure.


Il hésite. Sa mâchoire se serre. Ses yeux se détournent, puis reviennent à moi.


— De m’attacher. De te blesser. De me perdre dans un truc qui finira par me détruire.


Je ne cille pas.


— Et tu crois qu’en l’évitant, tu te sauves ?


— Non. Je crois que je répète le seul schéma que je connais.


Un silence. Terrible.


Il baisse les yeux, puis les relève. Et là, il dit :


— Tu n’as pas idée à quel point tu me désarmes.


Puis il recule. S’éloigne.


Encore une fois.


Je reste seule, figée, incapable de savoir si je dois le suivre, ou fuir à mon tour. Je me force à respirer. À tenir debout.


Addison s’approche.


— Tu vas bien ? demande-t-elle doucement.


Je hoche la tête. Elle sait que je mens.


Elle pose un regard sur les préparations, puis, toujours sans me regarder :


— Fais attention, Paule. Ce genre d’homme, on pense les apprivoiser. Mais ils dictent les règles. Toujours.


Je serre les dents. Et puis je dis :


— Je ne veux pas de ses règles. Je veux la vérité.


Elle sourit, triste.


— Tu risques d’avoir les deux. Et tu risques de saigner.


Je ne réponds pas.


Je retourne à mon poste.


Samuel ne m’adresse plus la parole.


Mais je sens son regard. Et c’est pire.


Parce que cette fois, ce n’est pas moi qui tremble.


C’est lui.


Et moi, je suis en train de décider si je tends la main… ou si je lâche pour de bon.

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