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Chapitre 34

Chapitre 34

Published May 28, 2025 Updated May 28, 2025 New Romance
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Chapitre 34

Le jour, tout est millimétré. Lissé. Silencieux. Contrôlé.


Dans le laboratoire, je suis une seconde invisible, mais essentielle. On me parle comme à une mécanique bien huilée. Je réponds avec cette régularité que j’ai finie par intégrer jusque dans mes gestes les plus simples. Je suis Paule, la rigoureuse. La constante. La précision incarnée.


Et quand la direction passe, quand les discussions se font plus techniques, plus politiques, alors tout s’efface derrière un ton impersonnel, froid, presque clinique. « De Luca », comme on cite un nom de dossier. Et ce n’est plus moi. Juste une fonction, une pièce dans l’organigramme.


Je ne corrige personne. Je ne relève rien. Je me suis habituée à cette distance. Ce masque professionnel qu’on me plaque sur le visage.


Samuel, lui, ne change pas. Pas dans sa voix. Pas dans ses gestes. Il traverse le laboratoire comme une ligne droite. Solide. Impénétrable. Mais chaque fois que ses yeux cherchent les miens, quelque chose vacille.


— Paule, passe-moi la grille, s’il te plaît.


— … Voilà.


— Merci.


C’est tout. Mais dans la manière dont il dit mon prénom, il y a un souffle de trop. Une syllabe tenue à contretemps. Un soupçon d’attention qui ne se justifie pas dans ce cadre. Et ça me heurte. Ça me brûle. Parce que j’y entends ce qu’il ne dit jamais.


Parfois, ses yeux s’attardent une seconde de plus. Une seconde de trop. Alors je détourne le regard. Je m’oblige à compter mes pesées, à vérifier une cuisson, n’importe quoi pour ne pas me consumer sur place.


Notre stratégie tient bon. Nous faisons front. En binôme. En professionnels irréprochables. La brigade ne dit rien. Mais elle observe.


Et nous, nous nous taisons. Nous maîtrisons. Nous contenons.


Mais il y a des frôlements qui en disent plus long que mille mots. Des silences trop lourds. Des gestes trop précis.

Quand nos épaules s’effleurent dans le couloir, quand nos mains se croisent sur la même poche de crème, il y a une tension qui court. Une ligne électrique. Une faille.


Et parfois, en sortant du labo, je sens son regard dans mon dos. Il ne me suit pas. Il ne dit rien. Mais je sais qu’il est là, à me regarder m’éloigner, les poings serrés dans les poches.


La nuit, tout bascule.


Parfois, c’est lui qui vient. Parfois, c’est moi. Mais toujours en silence.


Je reconnais sa façon de frapper. Trois coups. Un temps. Puis deux. Et déjà, je suis sur le pas de la porte.


Chez moi, il entre sans bruit. Il ôte ses chaussures, passe sa main dans ses cheveux, reste un instant debout dans l’entrée, comme s’il attendait mon autorisation. Je la lui donne en m’approchant. Juste un pas. Et il sait.

Chez lui, c’est différent. Je monte dans cet ascenseur qui m’aspire jusqu’au dernier étage. Je sors sur un monde suspendu. Un silence haut perché. Et il est là. Toujours debout. Toujours dans l’attente.


On ne parle pas tout de suite. Parfois pas du tout. Parce que ce n’est pas de paroles qu’on a besoin. C’est d’ancrage.

Je m’assois sur son canapé. Il s’assied à côté. Il attrape ma main. Ou pose la sienne dans ma nuque. Et il reste là. Parfois pendant des heures.


Et quand il me touche, c’est comme s’il cherchait à effacer quelque chose. Ou à réparer.


Il est lent. Précis. Jamais brutal. Mais je sens dans chacun de ses gestes une forme d’urgence. Comme si je pouvais lui échapper. Comme si j’étais la seule chose encore tangible dans son chaos.


— Tu tiens le choc ? murmure-t-il parfois.


— Et toi ?


Je ne sais jamais ce qu’il veut vraiment entendre. Mais je réponds toujours. Parce qu’il m’écoute. Même dans son silence.


Il ouvre parfois les fenêtres, même en pleine nuit. Il laisse l’air glacial de Manhattan entrer dans la pièce, balayer les murs, faire trembler les rideaux. Il dit que ça l’aide à respirer.


Moi, je m’allonge au sol. Je regarde les étoiles au travers des vitres. Et il vient. Il s’agenouille. Il trace ma colonne vertébrale du bout des doigts. Comme s’il lisait une langue oubliée.


Il ne dit jamais « je t’aime ». Il ne sait pas faire. Mais dans ses regards, dans ses gestes, dans sa façon de me retenir par le poignet quand je me lève pour partir… Je sais.


Il dort peu. Moi non plus.


Parfois, je le regarde marcher dans mon salon à la lueur d’une lampe oubliée. Il s’arrête devant une photo, ou une plante, ou un livre. Puis il revient vers moi, comme s’il n’avait jamais été ailleurs.

Et parfois, au cœur de la nuit, il glisse contre moi, me serre fort, et dit tout bas :


— Tu respires fort, quand tu dors.


Je lève les yeux. Il sourit à moitié. Ce sourire brisé que je suis la seule à voir.

— C’est une manière de savoir que t’es encore là.


Alors je pose ma main sur sa cuisse. Et il s’enfonce en moi avec une lenteur désespérée.


Il fait l’amour comme on se bat contre la nuit. Avec rage. Avec besoin. Mais sans bruit.


Et quand nous avons fini, quand il repose contre moi, haletant, vidé, il ne parle pas. Il m’enlace. Il s’endort parfois. Et moi, je reste là, éveillée, à guetter l’aube.


Parce que je sais que ce qu’on construit dans la nuit, le jour le reprend.


Le jour, nous sommes deux visages. Deux rôles.


Mais la nuit, nous sommes deux âmes nues. Et c’est là que je le préfère. Quand il n’a plus de masque. Quand il tremble un peu. Quand il me serre trop fort.


Et je sais que cette faille finira par s’ouvrir. Que notre double vie ne tiendra pas éternellement.


Mais ce soir, il est là.


Et moi, je me tais. Je l’écoute respirer. Je ferme les yeux.


Et je retiens mon souffle une minute de plus.

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