

Chapitre 30
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Chapitre 30
Je sais qu’il est toujours là. Derrière moi. Debout sur le trottoir, immobile. À me regarder monter.
Je pousse la porte de l’immeuble. La lumière pâle du hall m’engloutit. Je m’avance, lentement. Une chaleur étrange m’envahit, un calme que je ne reconnais pas. Et alors que je pose la main sur la rampe de l’escalier, mon téléphone vibre dans ma poche.
Je m’arrête.
Trois appels manqués. Tous du même nom.
Addison.
Et juste en dessous, un message.
Paule, rappelle-moi. C’est urgent. C’est à propos du labo.
Mon souffle se bloque, suspendu à ces quelques mots. Je me retourne instinctivement, rouvre la porte vitrée. Samuel est toujours là. À la même place. Tête légèrement inclinée, comme s’il avait senti.
Je descends lentement les quelques marches, sans quitter l’écran du regard, puis je relève les yeux.
Il lit sur mon visage ce que je n’ai pas encore dit.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Je secoue la tête, mais je compose déjà le numéro. La sonnerie ne dure qu’une seconde.
— Addison ?
Sa voix est précipitée, fébrile.
— Paule ? Tu es seule ?
Je jette un regard à Samuel, qui s’est approché à pas lents.
— Presque. Dis-moi.
— Je suis désolée. Je… je viens d’être informée qu’un dossier a été transmis ce matin à la direction. Un dossier interne.
Je fronce les sourcils.
— Quel genre de dossier ?
— Sur toi. Sur Samuel. Sur ce qui se serait passé entre vous. Quelqu’un parle d’un conflit d’intérêt, d’un abus de pouvoir. C’est… c’est très détaillé. Trop.
Samuel, à mes côtés, croise mes yeux. Il est déjà fermé. Raide.
— Tu peux être plus claire ?
Addison baisse encore d’un ton.
— Captures d’écran. Horaires croisés. Témoignage anonyme. La direction est furieuse. Il y a un risque de suspension immédiate. Et ils parlent d’une possible mise à pied pour l’un de vous deux… ou les deux.
Mon estomac se serre.
— Comment tu sais ça ?
— J’ai entendu la DRH au téléphone. Elle parlait de vous convoquer tous les deux demain matin. Ils veulent vous voir. Et ils sont très remontés.
Je raccroche sans un mot. Samuel me fixe.
— Dis-moi.
— On doit aller au labo. Maintenant.
Il acquiesce, déjà tourné vers le trottoir. Aucun mot de plus. Il m’attend.
Nous marchons côte à côte, sans parler. Les rues sont calmes, lavées par la nuit tombante. L’air est doux, presque tiède pour la saison, mais la tension entre nous suffit à glacer l’atmosphère. Le pas de Samuel est régulier, sans hâte, mais chaque mouvement trahit la crispation sous la surface. Sa mâchoire serrée. Ses épaules tendues. Et ce silence. Ce long silence qui fait écho à tant d’autres.
Je sens qu’il pense. Qu’il prépare quelque chose. Peut-être des mots, peut-être une stratégie. Ou simplement une façon de tenir.
De ne pas s’effondrer.
Je garde le silence moi aussi. Je marche à son rythme. Parce que ce soir, parler serait céder à la panique. Et je refuse de la laisser entrer.
Quand nous atteignons la porte arrière du laboratoire, il la pousse sans bruit. Les couloirs sont vides. Tout est silencieux. Comme si l’endroit retenait son souffle, lui aussi.
Nous montons à l’étage. Là où se trouvent les bureaux de la direction. Là où les décisions tombent comme des couperets.
Addison nous attend déjà, appuyée contre un mur, les bras croisés. Elle a l’air pâle. Fatiguée. Presque soulagée de nous voir.
— Vous êtes venus, souffle-t-elle.
Samuel la fixe.
— Le dossier. Tu l’as vu ?
Elle hoche la tête.
— Juste une partie. Assez pour comprendre que c’est solide. Ils ne bluffent pas. Et… ce n’est pas un hasard. C’est ciblé. Et c’est bien fait.
— Tu sais qui a pu faire ça ? je demande.
Un battement de silence.
— Non. Mais je suis certaine que c’est quelqu’un d’ici. Quelqu’un qui vous suit de près. Quelqu’un qui a pris le temps de tout archiver, tout observer. Et d’attendre le bon moment pour frapper.
Samuel se tourne vers moi.
— Il faut dormir un peu. Revenir ici tôt. Être prêts.
— Prêts à quoi ?
Il baisse la voix.
— À se battre. Ensemble ou seuls. Mais pas sans armes.
Addison nous regarde tour à tour, puis dit :
— Ils vous attendent à 9h, demain matin. Ne soyez pas en retard. Et… faites attention à ce que vous dites. Chaque mot peut être retourné.
Elle nous laisse là, dans le silence du couloir.
Samuel soupire. Il passe une main dans ses cheveux, puis me regarde.
— Tu veux que je te raccompagne ?
Je secoue la tête.
— Non. Rentre, repose-toi. On aura besoin de toute notre lucidité demain.
Il me regarde encore. Comme s’il cherchait une dernière vérité dans mes yeux. Puis il acquiesce.
— D’accord. Bonne nuit, Paule.
Je regarde son dos s’éloigner, droit, tendu. Jusqu’au bout du couloir. Jusqu’à ce qu’il tourne. Et disparaisse.
Je reste seule un moment.
Demain, ils voudront nous faire plier.
Demain, je ne plierai pas.

