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Chapitre 27

Chapitre 27

Published May 28, 2025 Updated May 28, 2025 New Romance
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Chapitre 27

Je suis restée un long moment sans bouger. La porte entrouverte, l’air froid de la cage d’escalier qui s’infiltrait dans l’appartement, et lui, Samuel, qui se tenait là. Immobile. Silencieux.


Je crois que je savais déjà qu’il viendrait. Pas ce soir-là, peut-être. Mais un soir. Un soir où il ne supporterait plus le vide. Ni le silence. Ni moi.


Et pourtant, quand je l’ai vu, j’ai senti mon cœur ralentir. Comme si mon corps voulait me protéger d’un impact. Il s’est approché, juste assez pour que je sente sa présence, pas assez pour que je la réclame. Il ne m’a pas regardée comme on regarde quelqu’un qu’on aime. Ni comme quelqu’un qu’on hait. Il m’a regardée comme on regarde un souvenir qu’on ne sait pas comment enterrer.


Il s’est arrêté, à peine à l’intérieur, son épaule effleurant le mur, son manteau encore sur les épaules. Et sa voix, grave, brisée, est tombée dans la pièce comme un verdict :


— T’as signé une clause, Paule. Deux ans. Tu peux pas partir avant.


Aucune colère. Aucune plainte. Mais une pression. Une manière de me rappeler que je lui dois quelque chose. Que ce n’est pas fini. Que lui ne le permettrait pas.


Je n’ai pas répondu tout de suite. J’ai eu ce réflexe idiot de chercher une échappatoire dans l’air, dans les meubles, dans n’importe quoi qui ne serait pas ses yeux. Mais il n’a pas cillé. Il est resté là. Attentif. Compact. Présent.


Je me suis reculée d’un pas. Un seul. Juste de quoi respirer. Mais il m’a suivie. Il n’a pas bougé physiquement, mais son regard s’est avancé. Il s’est planté en moi.


— Pourquoi tu es là ? ai-je murmuré, à peine audible.


Il a inspiré lentement, comme si mes mots l’obligeaient à franchir une ligne. Puis, sans détour, sans artifice :


— Parce que je ne supporte pas que tu t’éloignes.


Ce n’était pas une excuse. Pas une promesse. Juste un fait. Nu. Brut.


Je l’ai regardé, et j’ai senti cette chose étrange monter en moi. Cette oscillation entre le désir de pleurer et celui de le gifler. Parce qu’il n’avait pas le droit de dire ça. Pas après tout ce qu’il avait tu. Tout ce qu’il avait fui.


— Et alors ? Tu crois que moi, je l’ai bien vécu, ton silence ? Tu crois que ça m’a laissée indemne ?


Il a baissé les yeux, juste une seconde. Mais c’était suffisant. Une brèche. Une faille dans son armure.


— Tu sais très bien que cette clause, c’est pas juste un bout de papier, a-t-il repris. Tu t’es engagée, Paule. Pas question de partir. Pas sans moi.


Sa voix était plus sèche, cette fois. Défensive. Il tentait de se raccrocher à une règle. Un contrat. Quelque chose de rationnel dans ce chaos. Mais moi, je ne pouvais plus faire semblant.


— Et toi, Samuel ? Tu veux quoi, exactement ? Que je reste ici à obéir ? À faire semblant qu’on est collègues alors que tout en nous crie encore ? Tu veux que je sois ton ombre ?


Il a tressailli. Léger. Mais je l’ai vu. Et dans ce tressaillement, j’ai compris que je venais de frapper juste.


— Je ne veux pas ça, a-t-il dit, la voix plus basse. Mais je ne peux pas te laisser partir. Pas maintenant. Pas comme ça.


Je crois que c’est là que j’ai compris à quel point il était perdu. À quel point lui non plus ne savait plus quoi faire de nous.


— Tu crois que c’est facile pour moi ? Tu crois que je dors la nuit, que je mange normalement, que je respire sans que ça brûle ? Tu crois que tout ça ne me ronge pas ?


Il a serré les poings. Ses jointures étaient blanches.


— Alors quoi ? Tu veux qu’on s’écorche encore ? Qu’on se dévore jusqu’à l’os ?


— Non, Samuel. Je veux qu’on s’arrête avant qu’il n’y ait plus rien à sauver. Je veux que tu comprennes que je ne suis pas à toi. Que je ne l’ai jamais été.


Son regard s’est durci. Mais ses yeux, eux, étaient tremblants. Comme s’ils suppliaient que je dise autre chose.


Et puis, il s’est approché. Lentement. Comme un animal blessé. Il s’est arrêté juste devant moi. Nos souffles se mêlaient. Mais aucun geste. Juste l’électricité, brutale, entre nous.


— Tu me rends fou, Paule. Tu me rends fou d’une manière que je ne sais pas expliquer.


J’ai frissonné. Mais je ne me suis pas reculée.


— Alors dis-le. Dis quelque chose. N’importe quoi. Mais arrête de tout enfouir comme si c’était une faiblesse.


Il a fermé les yeux. Une seconde. Deux. Puis les a rouverts. Et sa voix est tombée dans un souffle :


— Parce que je ne sais pas comment.


C’était la vérité. Je l’ai su immédiatement. Il ne savait pas. Il ne savait plus. Et moi, j’étais fatiguée de lui apprendre.


— Alors apprends, Samuel. Apprends. Parce que sinon, on n’y arrivera pas. On se tuera à force de ne pas se dire.


Il n’a pas répondu. Mais dans ses yeux, il y avait un éclat nouveau. Pas de la promesse. Pas encore. Mais peut-être… une écoute.


Le silence est revenu. Ce silence qu’on connaît trop bien, lui et moi. Celui qui n’est jamais vide. Celui qui contient tout ce qu’on n’a pas la force de prononcer.


Et dans ce silence, quelque chose a changé. Rien de concret. Rien de visible. Mais une tension s’est relâchée. Juste un peu.


Je l’ai regardé. Il m’a regardée. Et pour la première fois depuis longtemps, j’ai senti qu’on se voyait vraiment.


Pas comme des ennemis. Pas comme des amants. Mais comme deux êtres cabossés, perdus au milieu d’un champ de ruines, cherchant la même sortie.


Et je sais. Cette nuit-là, ce n’était pas une fin.


C’était un commencement. Fissuré. Fragile. Mais réel.

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