

Chapitre 35
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Chapitre 35
Le silence du laboratoire a des allures de piège. Un silence anormal, tendu. Pas un claquement de lame, pas une casserole, pas une note échappée. Juste ce vide, figé, glacial. Le genre de silence qui précède les tempêtes, ou les chutes.
Mais derrière la porte du vestiaire, le calme se fissure.
Deux voix. Michael, d’abord. Fébrile, précipitée. Puis une autre, plus basse, sifflante. Venimeuse.
Addison.
Je m’approche sans bruit, le souffle suspendu, jusqu’à ce que mon épaule frôle le mur. L’ombre me protège, mais je tends l’oreille, le cœur battant trop fort dans ma poitrine.
— Tu t’en rends compte, Addison ? Ce que t’as fait… Tu pourrais ruiner deux carrières. Deux vies.
Sa réponse claque, dure, sans l’ombre d’un remords.
— Ce n’est pas leur carrière que je visais, Michael. C’est leur petit théâtre. Cette illusion de perfection qu’ils imposent à tout le monde comme un poison sucré.
Un silence. Puis sa voix, plus froide encore :
— Et ma place. Mon putain de droit à l’avancement. Voilà ce qui m’intéresse. Pas leurs jolis yeux embués, pas leurs frôlements hypocrites, pas leur jeu de dupes. Je me suis effacée assez longtemps. Maintenant, c’est terminé.
Michael souffle, inquiet :
— T’as rassemblé chaque putain de pièce. Chaque date. Chaque mot. T’as fouillé dans leurs emplois du temps, t’as collecté des bouts de mails, t’as même mis des extraits audio dans ce foutu dossier.
Addison laisse échapper un rire sec, sans âme.
— Bien sûr. C’est ce qu’on appelle une construction méthodique. Tu croyais quoi ? Qu’elle pouvait minauder dans les couloirs et que personne ne dirait rien ?
Michael murmure alors, la voix plus basse, comme s’il reculait :
— T’as dit que t’en avais marre de l’entendre rire avec lui. Que ça t’écorchait.
Et là, un silence. Coupant. Chargé.
Puis sa voix, cette fois plus grave, plus nue :
— Parce que c’est moi qu’il aurait dû regarder. Pas elle.
Le sol se dérobe. Ma nuque se glace. Tout s’aligne, en une seconde, d’une clarté brutale.
C’est elle. Depuis le début.
Addison. La main invisible. L’acharnement minutieux. Le piège lentement construit.
Je ne pense plus. Je ne respire plus. Mon corps bouge seul.
Je déboule dans le bureau de Samuel, le cœur cognant dans ma gorge. Il est là, seul, penché sur un dossier, crayon suspendu dans l’air, comme figé entre deux pensées.
Je claque la porte derrière moi. Il lève les yeux. Et à mon visage, il comprend. Immédiatement.
— C’était Addison, je lâche, la voix rauque. C’est elle qui a monté le dossier.
Il ne sourcille pas. Aucun sursaut. Juste ce regard, vert strié d’or, devenu tranchant. Animal. Calme. Prédateur.
— Je sais.
Il pose son crayon. Se lève. Lentement.
Il ne court jamais. Il ne tremble jamais. Il se lève comme on tire une lame du fourreau.
— Je l’ai su hier soir. J’attendais une confirmation. Tu viens de me la donner.
Je le fixe, abasourdie.
— Tu comptais me le dire quand ?
Il s’approche. Me prend par les épaules, sans dureté mais avec cette fermeté glacée qui lui appartient.
— Quand j’aurais pu frapper. Pas avant. J’ai rendez-vous demain matin avec la direction. Ils seront tous là. Et cette fois, je ne me contenterai pas de parler. Je vais les obliger à voir.
Je cherche son regard, mais il est déjà ailleurs. Concentré. En guerre.
— Voir quoi, Samuel ?
— La vérité. Et leur propre lâcheté.
Le lendemain, la salle de réunion est pleine. Trop pleine. L’air y est plus dense que l’oxygène. Direction générale, ressources humaines, chefs de service. Tous tirés à quatre épingles. Tous tendus.
Addison est là. Parfaitement droite. Tailleur noir, regard de pierre. Elle joue l’innocence glacée, mais ses yeux noirs d’encre trahissent une tension insidieuse.
Michael entre derrière elle. Les traits tirés. Il transpire, mais il reste.
Samuel est le dernier à entrer.
Droit. Silencieux. Redoutable.
Il balaye la pièce du regard. Ne s’incline devant personne. Il s’arrête sur Addison, juste une seconde. Elle soutient son regard. Mauvaise idée.
Il parle avant qu’on ne lui en laisse le temps.
— Je vais vous épargner les formules. Ce dossier que vous avez reçu. Celui qui insinue, accuse, salit. Il a été rédigé, construit, monté pièce par pièce par Addison.
Un murmure. Une tension. Le DRH tente de parler. Samuel l’interrompt d’un simple geste.
— J’ai les preuves. Et j’ai un témoin. Michael ?
Michael déglutit. Hoche la tête. Se redresse.
— J’étais là. Hier. Dans le vestiaire. Je l’ai entendue. Elle a dit que c’était elle. Qu’elle avait tout rassemblé. Et que ce n’était pas seulement contre Paule… C’était parce qu’elle ne supportait plus ce que… vous représentiez.
Le mot nous lui échappe. Samuel ne bronche pas.
Il reprend :
— Ce n’est pas tout.
Sa voix se fait plus lente. Plus grave. Elle fouette l’air. Chaque syllabe est une balafre.
— Il y a quelques mois, Addison a tenté de me séduire. Subtilement, d’abord. Puis avec insistance. J’ai refusé. Poliment. Fermement. Elle n’a pas supporté.
Il se tourne vers elle. Elle ne cille pas.
— Ce n’est pas la première fois. Il y a eu d’autres noms. D’autres hommes. D’autres promotions contre des sourires trop larges, des silences trop bien placés. Vous avez fermé les yeux. Je ne le ferai pas.
Addison se lève d’un bond. Son masque se fissure. Elle hurle :
— Espèce de salaud. Tu crois que tu vaux mieux ? Tu crois que ton silence vaut absolution ? Tu manipules tout, Samuel. Les gens, les regards, les émotions. Et elle — elle est juste ta distraction temporaire. Ton jouet du moment.
Elle se tourne vers moi, haineuse :
— Tu crois qu’il t’épargnera, Paule ? Tu crois qu’il est capable d’aimer autre chose que lui-même ? Tu crois qu’il t’a choisie ? Il t’a juste trouvée au bon moment. Un pion de plus. Un corps de plus.
Samuel ne recule pas. Il avance d’un pas. Lentement. Lourdement.
Sa voix devient basse. Terriblement calme. C’est pire qu’un cri.
— Tu ne m’as jamais fait peur, Addison. Pas une seconde. Je t’ai laissé faire parce que tu ne méritais même pas que je m’ab abaisse à te répondre. Tu ne vaux rien de ce que tu réclames. Tu veux du pouvoir, mais tu n’as jamais voulu travailler pour. Tu t’insinues. Tu vampirises. Et quand tu ne séduis pas, tu détruis. Voilà ta méthode.
Il s’approche encore. Jusqu’à la frôler.
— Mais maintenant, c’est fini. T’as perdu. Et tu ne le sais même pas encore.
Le directeur, blême, intervient enfin.
— Addison, vous êtes suspendue avec effet immédiat. Une enquête est ouverte. Veuillez quitter les lieux.
Elle se tourne vers Samuel. Et souffle, d’une voix chargée de poison :
— Je vous jure que je tomberai pas seule.
Samuel, glacé, la regarde une dernière fois :
— Tu viens de tomber.
Addison sort. Michael la suit, la tête basse. La porte se referme dans un claquement sec.
Samuel se retourne, lentement, vers les membres de la direction. Il les regarde un à un. Son regard est une lame.
— Maintenant écoutez-moi très attentivement. Si l’un de vous, ne serait-ce qu’un seul, pense encore que la solution à ce que vous appelez “problème d’image” est de nous séparer, Paule et moi, alors vous aurez ma démission dans la minute.
Un frisson parcourt la pièce.
— Je suis celui qui porte ce laboratoire. Nous sommes ceux qui le font rayonner. Nos créations tiennent la réputation de cette maison. Aucun manquement. Aucune faille. Juste de la rigueur, de la passion, et un travail irréprochable. Vous le savez. Vous le constatez chaque jour.
Il s’approche du bord de la table. Les mains appuyées. La voix basse.
— Mais je ne continuerai pas à offrir une once de mon énergie à un endroit qui criminalise l’excellence sous prétexte qu’elle dérange. Ni à une institution qui tolère la jalousie, les jeux de pouvoir et le venin — tant qu’il est bien présenté.
Il se redresse.
— Alors maintenant, décidez. Mais décidez vite. Parce que si je claque cette porte, je ne reviens pas. Et je ne la laisserai pas non plus, elle, s’épuiser dans un endroit qui ne sait pas la reconnaître.
Un silence. Profond. Foudroyé.
Et cette fois, ils baissent tous les yeux.
Même les plus puissants.


Alexandre Leforestier 2 days ago
Ce sera ma lecture du WK au soleil ! ))
Prescilliac 2 days ago
Super ! ☀️