

Chapitre 18
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Chapitre 18
Je suis en train de ranger quelques affaires dans un calme presque irréel quand la sonnerie retentit. Un coup sec, franc, à cette heure-là. Je lève les yeux vers l’horloge, surprise. Personne n’est censé venir. Pas ce soir. Pas maintenant. Mon cœur se serre sans raison apparente — ou peut-être si.
J’avance lentement jusqu’à la porte, l’écho de mes pas sur le parquet semblant amplifier mon trouble.
Et quand je l’ouvre, il est là. Samuel.
Debout sur le seuil, son manteau à la main, les traits tirés, les yeux plus brillants que d’habitude. Il ne dit rien tout de suite, il me regarde. Et moi, je ne peux pas m’empêcher de penser, dans une fulgurance muette : il est plus beau que jamais.
Ce pull à col roulé vert anglais qu’il porte, je ne l’ai jamais vu avant. Il lui va à la perfection. La matière épouse la ligne ferme de ses épaules, souligne la tension dans sa nuque, met en valeur la pâleur de sa peau, le brun presque noir de ses cheveux. Mais ce sont surtout ses yeux. Ses yeux, verts striés de doré, que cette couleur rend presque surnaturels. Ils m’attrapent, me retiennent, me percent.
Je m’entends à peine lui dire :
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Il ouvre la bouche, hésite. Sa voix est plus rauque que d’ordinaire.
— Je… je ne savais pas exactement où tu habitais.
Je fronce les sourcils. Je ne sais pas si je suis plus étonnée par sa présence ou par la maladresse de ses mots.
— Tu ne savais pas ? Et tu es venu comment alors ?
Il détourne un peu le regard, passe la main dans ses cheveux dans un geste que je lui connais trop bien, celui qu’il fait quand il se sent pris au piège.
— Je t’ai suivie. Un soir. Pas prévu. Je voulais juste… savoir si tu allais bien.
Je hausse un sourcil.
— Par hasard ? Tu te rends compte de ce que tu dis ?
Il esquisse un sourire qui n’en est pas vraiment un. Il y a de l’ironie dans son regard, mais aucune moquerie. Juste une certaine fatigue. Une faille qu’il ne masque pas ce soir.
— Disons que je n’aime pas laisser les choses… en suspens.
Et sans même attendre que je l’invite, il entre. Comme s’il savait qu’il avait encore une place ici. Comme si mon silence était une permission.
Il dépose son manteau sur le dossier d’une chaise et reste là, planté au milieu de mon salon, les mains dans les poches, la mâchoire crispée. Il ne bouge pas, mais sa présence emplit l’espace. Dense. Magnétique.
Je referme lentement la porte, le regard rivé à son dos.
— Samuel, c’est pas comme ça qu’on fait.
Il se retourne, me regarde, droit dans les yeux.
— Je sais. Mais j’avais besoin de te voir. De… réparer.
Je le fixe, muette.
— Tu étais en train de me rejoindre. Et moi, j’ai reculé. Pas parce que je ne ressentais rien. Mais parce que les regards dans le laboratoire commençaient à se charger. Parce que les silences n’étaient plus ceux qu’on partageait toi et moi. Parce que les murmures devenaient des jugements. Et que je me suis dit que si je t’approchais trop, je finirais par tout abîmer. Toi, moi, la brigade. Alors j’ai fui.
Je reste sans voix.
Il vient de le dire. Simplement. Sans détour. C’est lui qui a fui. Lui qui a laissé tout suspendu, comme s’il ne savait plus comment choisir entre sa peur de tout perdre et ce qu’il ressentait.
Je le regarde, droite, le cœur battant plus vite que je ne le voudrais.
— Et maintenant ? Tu veux qu’on fasse comme si de rien n’était ?
Il secoue la tête, lentement.
— Non. Je veux qu’on recommence. Vraiment. Pas sur des ruines, mais sur ce qu’il reste. Et sur ce qu’on n’a pas encore vécu.
Je reste un instant immobile. Puis je ferme les yeux, juste une seconde. Pour retrouver un semblant d’équilibre.
Quand je les rouvre, il est là. Plus proche. Son regard ne tremble pas.
— Je suis là, Paule. Ce que je ressens, je ne peux plus le cacher. Même si je ne sais pas encore l’expliquer.
Je laisse mes bras retomber. Je suis fatiguée de lutter contre moi-même.
Il fait encore un pas, tout près cette fois, au point que son souffle effleure ma peau. Puis, dans un murmure presque rauque, il dit :
— Tu me manques. Même quand je te vois tous les jours. Surtout quand je te vois et que je n’ai pas le droit de t’effleurer.
Je ne réponds pas. J’avance juste d’un pas.
Et sans réfléchir davantage, mes doigts viennent effleurer les siens.
Le contact est infime. Mais il suffit.
Ses mains remontent le long de mes bras, lentement, avec une précision presque religieuse, puis encadrent mon visage. Il m’observe comme s’il avait peur de me briser. Mais il ne recule pas.
— Si je t’embrasse, je ne pourrai plus faire marche arrière, murmure-t-il.
Et moi, d’un souffle :
— Alors embrasse-moi.
Et c’est ce qu’il fait. Lentement d’abord, ses lèvres frôlant les miennes dans une attente insoutenable, puis avec une intensité dévorante, féline, brûlante. Je me laisse emporter, prise dans cette vague de désir, de manque et de colère rentrée. Nos baisers sont des retrouvailles, mais aussi des reproches. Des blessures qu’on recouvre de peau, de chaleur, de souffle.
Je l’attire vers le canapé, sans cesser de l’embrasser, mes mains glissant sous son pull pour sentir la peau qu’il m’a trop longtemps refusée. Il est là, vivant, chaud, brûlant, et cette fois, je ne veux plus reculer.
Il m’allonge lentement, me déshabille sans un mot. Ses lèvres descendent le long de mon cou, s’attardent sur ma clavicule, puis glissent entre mes seins, sur mon ventre, partout où ma peau l’appelle. Je ferme les yeux. Je laisse faire. Je veux qu’il aille jusqu’au bout.
Il revient vers moi, me regarde un instant, ses yeux verts striés de doré brillant d’une fièvre muette. Et quand il entre en moi, ce n’est pas brutal, ce n’est pas mécanique. C’est un souffle profond, une immersion lente, une conquête sans armes.
Nos corps s’accordent, se cherchent, s’abandonnent. Chaque mouvement est une confession silencieuse. Je veux qu’il comprenne ce que j’ai tu. Il veut que je sente ce qu’il ne sait pas dire.
Nous faisons l’amour longtemps. Avec lenteur. Avec faim. Avec cette forme d’urgence qu’ont ceux qui savent qu’ils ne doivent pas se perdre une seconde fois.
Et quand la dernière vague retombe, qu’il reste en moi, immobile, le front contre le mien, les yeux fermés, je comprends que quelque chose a changé. Que même s’il ne le dira jamais, même s’il garde ses silences comme des talismans, ce qu’il vient de me donner, il ne l’a jamais offert à personne.
Je ne lui dis pas que je l’ai compris. Je me contente de le serrer contre moi, ma main glissée dans sa nuque, son souffle contre ma gorge.
Et dans cette nuit sans murmures, sans peur, je sens naître un début d’espoir.

