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Chapitre 32

Chapitre 32

Published May 28, 2025 Updated May 28, 2025 New Romance
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Chapitre 32

Le jour suivant se lève dans un silence encore tendu, saturé d’un calme artificiel. Celui qui précède les grandes décisions. Celui qui précède les guerres qu’on ne choisit pas toujours, mais qu’on finit par accepter parce qu’on n’a plus le luxe de reculer.


Nous avons quitté le laboratoire la veille sans un mot de trop. L’un à côté de l’autre, comme deux soldats revenus du front, encore couverts de cendres, mais debout. Samuel ne m’a pas raccompagnée. Je ne le lui ai pas demandé. Il est resté sur le trottoir, à me regarder monter les marches de mon immeuble avec une gravité douloureuse dans les yeux. Un « à demain » avait suffi. Mais ce n’était pas un adieu. C’était une promesse.


Et ce matin, quand j’entre dans le bureau de Samuel — après avoir salué la brigade avec un sourire calme, maîtrisé, presque chirurgical — je sais que cette promesse, on va la tenir.


Il est déjà là, debout, les bras croisés devant la baie vitrée, la silhouette figée, tendue. Il ne se retourne pas tout de suite quand j’entre. Mais il sait que je suis là. Il n’a pas besoin de me voir. Il me sent.


Je referme doucement la porte derrière moi.


— Bonjour, dis-je simplement.


Il incline légèrement la tête, son regard toujours perdu vers l’extérieur.


— Ils vont nous avoir à l’usure, dit-il d’un ton grave. C’est leur stratégie. Étouffer, attendre, puis appuyer là où ça craque.


Je m’approche lentement.


— Alors il faut qu’on leur montre qu’il n’y a rien à étouffer. Rien qui craque.


Il se tourne enfin. Ses yeux verts, striés de doré, ont cette intensité que je commence à reconnaître comme sa manière à lui de dire qu’il tient bon, même quand tout brûle dedans.


— Il faut qu’on soit irréprochables, poursuit-il. Qu’ils ne puissent s’accrocher à rien. Ni aux rumeurs, ni à une faiblesse, ni même à une faille dans nos recettes.


Je hoche la tête.


— On verrouille tout. D’un bout à l’autre. Le travail. La communication. La brigade.


Un silence s’installe, court mais dense. Samuel sort un carnet noir de sa poche, le dépose sur la table. Je reconnais son écriture dense, nerveuse, précise.


— J’ai listé tous les points sensibles. Les erreurs possibles. Les tensions. Les failles de structure.


Je le regarde, admirative malgré moi. Son cerveau ne s’arrête jamais. C’est sa manière de tenir debout. La maîtrise comme bouée.


— Tu veux qu’on s’enferme ? Que tout passe par nous ?


— Non. Je veux qu’on délègue. Stratégiquement. Qu’on montre qu’on fait confiance, mais qu’on reste au centre. Comme des piliers.


Je m’assieds en face de lui.


— Il faut aussi qu’on reprenne le contrôle du récit. Qu’on leur impose un autre angle. Qu’on les oblige à voir ce qu’on leur apporte, pas ce qu’ils veulent voir tomber.


Samuel acquiesce.


— On a augmenté la marge du laboratoire de 12 % depuis janvier. Le taux d’erreurs a chuté. Le rendement est au-dessus des prévisions. Et nos créations font parler dans toute la région.


Je souris.


— Tu veux qu’on leur colle ça sous le nez ?


— Je veux qu’on leur colle ça dans la gorge, Paule.


Il y a dans sa voix un mélange de colère contenue et de fierté blessée. Une fureur élégante, maîtrisée, redoutable.


Je ressens ce frisson en moi, ce quelque chose de viscéral qui me rappelle pourquoi je suis restée. Pourquoi je reste encore.


— Il faut qu’on les devance. Qu’on donne à la brigade ce qu’ils n’osent pas demander : une direction claire. Pas une explication, pas une confession. Une stratégie.


Il acquiesce.


— Discrète. Mais ferme.


Alors, sans cérémonie, il s’installe à son bureau, ouvre son ordinateur. Ses doigts courent sur le clavier avec une précision fébrile. Il rédige un mail destiné à la direction. Je n’ai pas besoin de le lire pour comprendre ce qu’il écrit : une demande formelle d’un délai. Une semaine. Pour évaluer la situation, « sécuriser le bon fonctionnement de l’équipe » et « préparer une transition éventuelle dans les meilleures conditions si cela s’avérait nécessaire ». Des termes choisis. Mesurés. Irréprochables. Une élégante esquive, digne d’un joueur d’échecs.


Lorsqu’il envoie le message, je perçois à peine le soupir qu’il retient.


— Voilà, dit-il. On a une semaine.


Je hoche la tête. Une semaine pour quoi, exactement ? Pour gagner du temps. Pour bâtir. Pour résister. Pour respirer.


Nous passons la matinée dans ce bureau, à poser les fondations silencieuses d’une résistance discrète. Pas de discours flamboyant. Pas d’éclat. Juste deux professionnels qui se regardent sans détour, qui placent chaque pièce au bon endroit.


À l’heure du déjeuner, nous descendons dans les cuisines.


Tout y est à sa place. Les gestes sont précis. Les voix mesurées. Mais une tension sourde flotte dans l’air. Une forme d’inquiétude non formulée, comme un courant électrique rampant entre les postes.


Nous ne disons rien. Pas de déclaration. Pas d’aveu. Seulement notre présence, côte à côte. Un front uni. Une équipe visible.


L’après-midi s’étire. Le travail reprend son rythme. Les choux montent. Les mousses prennent. Les coulis s’étalent en arabesques parfaites. Et pourtant, sous la surface, tout vibre autrement.


Le soir venu, je me retrouve seule dans le vestiaire. J’entends les bruits du laboratoire qui s’amenuisent, les voix qui s’éteignent, les casiers qui claquent. Je respire. Lentement. Profondément.


Samuel m’attend dehors. Il ne dit rien quand je sors. Il me regarde seulement. Et c’est suffisant.


Nous rentrons à pied, sans un mot. Les pavés sous nos pas résonnent dans le silence du soir. Arrivés devant mon immeuble, je m’arrête.


— Tu veux monter ?


Il secoue doucement la tête.


— Pas ce soir.


Je hoche la tête, sans tristesse. Juste avec cette lucidité étrange des soirs de tempête intérieure.


— Alors bonne nuit.


— Bonne nuit, Paule.


Je monte les marches sans me retourner. Il reste là, figé, comme un point d’ancrage dans un monde qui vacille.


Et ce soir-là, je me couche sans certitude.


Mais avec une foi nouvelle.


Pas en la paix.


En notre capacité à tenir bon, dans le silence.


À exister malgré tout.


Ensemble.

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