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Chapitre 15

Chapitre 15

Published May 28, 2025 Updated May 28, 2025 New Romance
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Chapitre 15

La tension s’est insinuée partout. Elle s’est glissée dans les silences, dans les gestes mécaniques, dans les conversations tronquées qui s’évanouissent dès qu’on passe la porte. Elle se dissimule dans les éclats de rire trop vifs, dans les regards qu’on détourne trop vite. Elle ne dit pas son nom, mais elle nous étrangle tous à petit feu.


Je le sens dès les premières minutes, au contact des autres, à la manière dont Michael feint une légèreté qui sonne faux, à la distance d’Addison qui désormais préfère m’éviter plutôt que croiser mes yeux. Il n’y a pas eu besoin de mots. Ce qu’ils ont perçu flotte dans l’air comme une rumeur qui s’épaissit.


Et au cœur de ce silence vénéneux, Samuel.


Il agit comme si rien n’avait changé. Il tranche, il ordonne, il corrige. D’une voix calme, d’un ton égal. Mais ses gestes sont plus durs, plus secs, plus tendus. Il m’évite, sans m’éviter. Me parle, sans me parler. Et je comprends qu’il est déjà en train d’élever un mur entre nous. De ceux qu’on ne voit pas, mais qu’on sent avec violence.


Quand je le croise, un peu à l’écart, à la fin du service, il ne bouge pas. Dos à moi, bras croisés. Je reste figée. Quelque chose en moi hurle d’aller vers lui, de l’obliger à parler, à dire enfin ce qu’il garde en lui. Mais je sais que les mots, chez Samuel, ne viennent pas sur commande. Ils se dérobent. Ils résistent.


Je m’approche lentement, à pas presque feutrés. Il ne se retourne pas tout de suite. Et quand il le fait, ce sont ses yeux, plus que ses lèvres, qui parlent. Des yeux fuyants, comme blessés d’avance. Une guerre se joue derrière ce regard-là, une guerre entre ce qu’il ressent et ce qu’il se croit autorisé à ressentir.


— Tu ne dis rien, je souffle, incapable de contenir plus longtemps le poids de l’incompréhension.


Il ouvre la bouche, puis la referme. Ce mutisme, ce n’est pas de l’indifférence. C’est une prison.


Il finit par hausser les épaules, très légèrement, comme si toute explication l’écrasait déjà.


— Tu as vu leurs regards.


Un battement de cœur. Un silence. Et tout est dit.


Il ne prononce pas les mots suspicion, murmures, déséquilibre, mais je les entends. Il ne parle pas de la hiérarchie, des doutes, des conséquences possibles — mais tout est là, dans la raideur de sa mâchoire, dans la crispation de ses doigts contre ses bras croisés.


— Tu les laisse décider pour toi ? je murmure, plus douloureuse que provocante.


Il ne répond pas. Ses paupières se ferment une seconde, comme si cette question le blessait physiquement. Puis il passe lentement une main sur sa nuque, un geste de fatigue ou de honte, je ne sais pas.


— Ce n’est pas toi que je mets à distance.


Je l’observe. Son visage s’est durci. Mais il y a cette faille, ce soupir qu’il retient, ce frémissement à peine perceptible dans sa voix grave. Il ne sait pas comment faire. Il n’a pas appris. À dire les choses. À les nommer.


Alors il les tait. Il les exile. Il les sabote.


Et moi, je suis là, debout devant lui, témoin de cette guerre invisible. De cette lutte intérieure qui le dévore à petit feu.


Il s’éloigne sans bruit, et je le regarde partir, emportant avec lui tout ce que nous n’avons pas su dire.


Je passe le reste de la matinée dans un état de flottement. Tout ce que je fais semble mécanique. Mes mains travaillent, mais mon esprit reste englué dans cet échange inachevé avec Samuel. Je sens encore son regard peser sur ma nuque, même lorsqu’il est à l’autre bout du laboratoire. Une ombre discrète mais constante. Il n’a pas prononcé un mot de plus depuis ce matin. Et je sais qu’il n’en dira pas davantage.


Il se replie dans ce mutisme auquel il m’a habituée, cette forme de silence qui dit tout, à condition d’en connaître la langue. Je la devine, je l’apprends à mesure que les jours passent. Et aujourd’hui, son silence est plus tranchant que jamais.


La brigade travaille avec plus de sérieux qu’à l’ordinaire, comme si chacun sentait que le moindre faux pas pourrait provoquer un séisme. Les conversations sont rares, les plaisanteries absentes. L’ambiance est tendue, presque irrespirable. Même Michael, d’habitude si prompt à lancer une pique ou une remarque à double sens, se contente d’observer, son regard circulant de Samuel à moi comme s’il tentait de deviner les règles d’un jeu dont il a été exclu.


Addison, elle, me frôle sans un mot, sans un regard. Il n’y a plus d’affrontement direct entre nous — c’est pire. C’est l’indifférence glaciale, calculée. Celle qui efface l’autre sans même le nommer.


Lorsque vient l’heure de la pause déjeuner, je prends mécaniquement la direction du couloir menant aux vestiaires. Mes pas résonnent sur le sol carrelé. J’ai besoin d’air. D’espace. D’un lieu où ses yeux ne me trouvent pas.


Mais au détour du couloir, il est là. Adossé au mur, les bras croisés. Il ne dit rien. Il me regarde, simplement. Et ce regard, pourtant muet, me coupe le souffle.


Je m’arrête à quelques pas. Le silence entre nous est une matière vivante, presque tangible. Il ne m’invite pas à parler. Il ne m’arrête pas non plus. Il attend. Comme s’il testait ma patience, ou ma résistance.


— Tu te caches ? demandé-je, plus sèchement que je ne l’aurais voulu.


Il secoue doucement la tête. Il ne sourit pas. Il ne détourne pas les yeux.


— Non. Je respire.


Je m’adosse à la porte du vestiaire, dos contre le bois froid. Un frisson me parcourt l’échine. Pas à cause du froid. À cause de cette présence, à un mètre à peine. Trop près. Trop loin.


— Tu dis vouloir prendre du recul. Mais tu es là. Comme toujours. À moitié dans ma vie. À moitié dehors.


Il ne répond pas. Il me regarde encore. Et ce regard m’épuise autant qu’il m’aimante.


— Dis quelque chose.


Il baisse un instant les yeux. Lorsqu’il les relève, ils sont brûlants. Mais sa voix reste contenue, presque basse.


— Tu veux quoi, Paule ? Que je parle pour remplir le silence, comme eux ? Que je dise ce qu’ils veulent entendre ? Ou ce que tu veux entendre, toi ?


— Non. Je veux que tu sois là. Entièrement.


— Je ne sais pas faire ça.


Il l’avoue sans trembler. Une vérité nue. Il ne sait pas. Il n’a jamais appris. Et moi, je suis là, à espérer qu’il réinvente les gestes, les mots, les élans que personne ne lui a enseignés.


Je le fixe longuement. Puis je me détourne, le souffle court.


— Alors ne me donne pas l’illusion. Ne me regarde pas comme ça si tu refuses de traverser ce que ça provoque.


Je m’éloigne sans me retourner. J’ai les mains qui tremblent, la gorge serrée, et pourtant, une colère sourde me soutient. Une colère contre lui, contre moi, contre cette danse impossible qui nous consume à petit feu.


L’après-midi s’étire dans une lenteur exaspérante. Je sens son regard posé sur moi, sans jamais le croiser. À chaque fois que je me retourne, il a déjà baissé les yeux. Comme un chat blessé, à l’affût, mais fuyant l’intimité dès qu’elle se présente.


Lorsque la journée prend fin, la brigade quitte peu à peu le laboratoire. Michael est le dernier à partir. Il me jette un regard en biais, entre compassion et sarcasme, avant de disparaître dans le couloir.


Je reste seule. Ou presque. Je sais qu’il est encore là.


Je le sens dans le silence.


Je le sens dans ma nuque.


Et puis il entre.


Il ne parle pas. Il s’approche. Lentement. Comme s’il avançait vers quelque chose de dangereux.


Il ne me touche pas. Il s’arrête juste devant moi. Son regard est posé sur ma bouche. Puis sur mes yeux. Et enfin, il se détourne.


— Ils me voient perdre pied. Et ça les excite.


Il serre la mâchoire. Je le sens lutter contre lui-même. Contre moi.


— Et moi, Samuel ? Tu me vois ?


Un long silence. Et enfin, sa voix, plus rauque, plus grave.


— Trop bien.


Un battement. Le monde s’efface.


Je m’avance. Juste un peu. Il ne bouge pas. Je suis là, si proche que je pourrais sentir son cœur battre sous la chemise. Mais je ne tends pas la main. Je ne l’effleure pas.


Il ferme les yeux.


Puis il souffle, sans me regarder.


— C’est pour ça que je recule. Parce que je te vois trop bien.


Je reste figée.


Et je comprends.


Ce n’est pas une fuite.


C’est une résistance.


Contre un feu qu’il n’a pas les armes pour dompter.


Et moi… je brûle déjà.


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