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Chapitre 24

Chapitre 24

Published May 28, 2025 Updated May 28, 2025 New Romance
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Chapitre 24

Il y a quelque chose dans l’air ce matin.


Pas seulement l’odeur, pourtant familière, de sucre cuit, de beurre fondu, de chocolat fondu. Pas seulement ces effluves suaves qui d’ordinaire apaisent les nerfs les plus tendus ou donnent envie de s’attarder près des plans de travail, même les jours d’orage.


Non, ce matin, c’est autre chose.


L’atmosphère est saturée, dense, comme si les murs du laboratoire eux-mêmes retenaient leur souffle. Une attente latente, lourde, une suspension en équilibre instable sur le bord d’une faille.


Michael claque les portes de manière un peu plus nerveuse que d’habitude. Anaïs, concentrée sur ses préparations, tape les ustensiles avec trop de force, comme si chaque bruit pouvait couvrir quelque chose qu’elle n’ose dire. Même Addison, habituellement précise et chirurgicale dans ses gestes, donne cette impression d’être ailleurs, dans une tension qu’elle tente de masquer, mais qui s’infiltre partout, dans les angles, dans les silences, dans le battement des fours.


Et Samuel… n’est toujours pas là.


C’est moi qui le remarque en premier, bien sûr. Je ne me retourne même pas quand j’entre. Je n’ai pas besoin de le chercher du regard. L’absence de Samuel n’est pas une absence visible. C’est un vide qui se ressent, une zone de silence dans un espace qui devrait être en mouvement. Un souffle coupé. Un fil rompu.


Depuis plusieurs jours, il arrive tard. Il prend soin d’entrer sans bruit, de ne croiser personne. Il effleure les gens comme un courant d’air. Mais ce matin, ce n’est pas du retard. C’est une fuite. Une vraie.


Il n’est pas là. Pas même pour poser les yeux sur ses lignes de production, sur ses hommes, ses gestes, ses recettes. Il n’est pas là pour corriger, pour trancher, pour imposer sa voix. Et ce n’est pas seulement moi qui le remarque.


Je m’applique à foncer mes cercles de pâte avec précision, les doigts rapides, le regard figé sur mon marbre. Mais je suis nerveuse. Tous mes gestes sont un peu trop secs, un peu trop mécaniques. La pâte a de la peine à se détendre. Je recommence deux fois. Je n’arrive pas à retrouver mon souffle.


Et c’est Addison qui, la première, murmure assez bas pour ne pas être entendue mais assez fort pour que ça porte :


— Il a annulé la réunion de mise au point ce matin. Encore.


Je ne relève pas les yeux, mais je sens le frémissement dans la pièce. Les autres ont entendu.


Anaïs lève la tête de son chocolat tempéré.


— Ça fait trois fois cette semaine. C’est pas normal.


Michael, les bras croisés, un sourcil levé, laisse tomber :


— Peut-être qu’il nous fait une dépression. Ou qu’il a décidé de nous lâcher comme ça, sans prévenir. Après tout, il en est capable. Il disparaît toujours quand ça brûle.


Personne ne répond. Mais cette remarque tombe comme une pierre dans l’eau.


Elle remue trop.


Je reste concentrée sur mes gestes, sur ma ligne de production. Mais au fond de moi, je le sens : ce n’est pas qu’un oubli. Ce n’est pas une absence anodine. C’est un effritement. Une rupture interne. Un chaos maîtrisé, mais perceptible, même à travers la distance.


Je le connais.


Et ce que je vois, c’est qu’il se retire. Doucement. Mais sûrement.


La tension monte en spirale. Elle se loge dans les silences, dans les petits bruits plus secs, dans les regards qui s’évitent.


Et ce qui devait arriver, arrive.


Une heure plus tard, la déflagration a lieu.


Ce n’est pas spectaculaire. C’est une erreur de livraison. Un banal contretemps. Mais dans un laboratoire tenu à la perfection, chaque détail compte. Et là, c’est une commande essentielle qui n’est pas au complet. Il manque des quantités précises d’un ingrédient indispensable pour les montages de l’après-midi.


Et cette petite faille, cette simple défaillance, agit comme une brèche.


Anaïs laisse tomber sa spatule avec rage.


— C’est pas possible qu’il n’ait pas vérifié le bon ! C’est lui qui valide tout, d’habitude !


Michael renchérit, visiblement prêt à en découdre :


— Sauf qu’il est pas là, Anaïs. Et maintenant, c’est nous qui devons bricoler pour éviter une catastrophe. Encore.


Addison tente d’apaiser, de calmer, de répartir les tâches. Mais le ton monte. Les voix deviennent tranchantes, sèches, mauvaises. Le moindre mot prend une dimension disproportionnée.


Moi, je reste silencieuse.


Mais je sens. Je vois. Et surtout, je sais.


Je sais que c’est un symptôme. Pas une cause. Que cette erreur, cette confusion, c’est le reflet de ce qui se passe en lui. Une faille dans le système Samuel. Un dysfonctionnement qui commence à se répercuter jusque dans les moindres rouages.


Et ce n’est pas Samuel.


Pas celui que j’ai connu. Pas celui que j’ai vu contrôler, trancher, voir tout avant tout le monde.


À midi, le laboratoire est à la limite de la rupture. Et je suis là, entre les lignes. Ni cheffe, ni remplaçante. Mais pas tout à fait neutre non plus.


Je suis celle dont le silence attire les regards. Celle autour de qui quelque chose s’est déposé. Une brume de soupçons. D’attentes. De questions muettes.


Et quand tout se calme enfin, Addison m’approche. Elle ne dit rien tout de suite. Puis, à voix très basse, elle murmure :


— S’il te parle… dis-lui qu’il va finir par tout perdre. Pas seulement toi.


Je ne réponds pas. Mais ses mots s’insinuent en moi comme du sel sur une plaie à vif.


Plus tard, en fin de journée, le laboratoire retrouve sa propreté clinique. Les plans de travail brillent. Les vitrines sont impeccables. Mais ce n’est qu’une illusion. Ce calme apparent masque un champ de ruines invisible.


Samuel réapparaît enfin. Il passe la porte comme une ombre. Il ne parle que si c’est nécessaire. Il évite les yeux. Les miens, surtout. Il traverse la pièce en diagonale, donne des ordres brefs, techniques. Il ne reste pas. Il ne s’installe nulle part. Il flotte.


Mais quand il passe près de la chambre froide, sa voix s’élève.


— Paule.


Je me retourne. Il ne me regarde pas. Il garde les yeux fixés sur le sol, sur ses chaussures, comme si regarder ailleurs le protégeait.


Puis il dit :


— Ce n’est pas ton rôle de porter ça. Tu n’as pas à faire tampon pour moi.


Je le fixe. Une colère sourde monte. Je serre les poings.


— Alors viens le faire toi-même, Samuel. Parce que la brigade tombe en morceaux. Et ils croient que je suis ton ombre.


Il relève les yeux. Lentement. Et je vois. Il est épuisé. Vraiment. Mais surtout, il est en train de s’éteindre.


Et il dit, d’un ton calme, presque paisible :


— Tu n’es pas mon ombre.


Un silence s’installe. Et puis il lâche, d’une voix basse :


— Tu es ce que j’essaie d’éteindre.


La phrase claque. En moi, en lui, dans l’espace.


Et il s’éloigne.


Sans se retourner.


Je reste figée. Le souffle coupé. La gorge serrée.


Je ne sais même pas si j’ai mal. Ou si c’est autre chose. Une sorte d’épuisement au-delà des larmes.


Dans le vestiaire, plus tard, je m’assois sur le banc.


Je reste là longtemps.


Je pense à tout. À Addison. À ce qu’elle m’a dit. À ce que je sais maintenant. À ce que je ne veux pas comprendre. Et je me demande combien de temps encore je vais tenir ce rôle. Ce lien qui se délite. Ce fil qui coupe plus qu’il ne relie.


Et pourtant…


Il suffirait d’un mot.


Qu’il dise : reste.


Mais il ne le dira pas.


Et moi… je ne le demande plus.


Je me tais, moi aussi. J’ai appris.


Je quitte le laboratoire comme on quitte un lieu sacré devenu profane. Les murs me semblent plus froids, plus hauts. Je flotte. Le ciel est pâle, la lumière étrange. Un entre-deux sans direction.


Dans le couloir, je croise les regards.


Michael, cette fois, détourne les yeux.


Addison me fixe, mais ne dit rien. Son silence est un cri. Elle sait.


Je suis celle qui a été choisie. Puis abandonnée.


Et peut-être que ça, c’est pire que tout.


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