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Chapitre 4

Chapitre 4

Published May 27, 2025 Updated May 28, 2025 New Romance
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Chapitre 4

Quand je pousse la porte du laboratoire ce matin-là, quelque chose change immédiatement dans l’air. Un souffle infime, mais perceptible. Les conversations s’interrompent à peine, les gestes se poursuivent, mais je le sens : je suis observée.


Ils sont déjà là. Tous. À leur poste. À leurs gestes. À leur rythme. La brigade. L’élite silencieuse du Royalton. Rien n’est dit, mais tout est sous-entendu. Chaque regard est une balise. Chaque silence, une évaluation.


Camille, la plus ancienne après Samuel, tranche dans l’espace comme une lame bien affûtée. Elle ne parle presque jamais, mais elle n’a pas besoin de mots. Il y a dans sa manière de tenir sa poche à douille, dans la précision de ses gestes, un langage bien plus clair que n’importe quelle phrase. Elle n’attend pas qu’on l’aime. Elle exige qu’on la suive. Et personne ne semble jamais remettre cela en question.


Addison, elle, est différente. Son assurance a quelque chose de plus fluide, plus adaptable, presque félin. Elle m’observe en coin, comme une rivale potentielle, une énigme encore en phase de calcul. Elle jauge, évalue, mais ne prend pas parti. Pas encore.


Et puis il y a les autres. Plus jeunes. Plus discrets. Occupés, concentrés. Mais leurs yeux, eux, viennent vers moi quand ils croient que je ne les vois pas. Je sens leur doute, leur curiosité, leur instinct de meute. Ils attendent que je trébuche. Ils attendent que je montre la faille.


Le laboratoire respire une tension permanente. Pas celle, brûlante, de la cuisson ou de la précision des températures. Non. Une tension humaine. Hiérarchique. Une mécanique trop tendue pour pardonner un faux pas. Ici, on ne travaille pas simplement. On s’inscrit dans une chaîne. Et pour l’instant, je ne suis qu’un maillon en suspens.


Les fours murmurent. La vapeur s’élève en volutes discrètes. Les couteaux chantent doucement sur les plans de marbre. C’est une partition. Et moi, je dois m’y glisser sans faire grincer la moindre note.


Et puis Samuel entre.


Sans bruit. Comme s’il avait toujours été là. Ses pas sont lents, calmes, mais chaque membre de la brigade les entend. Tous les corps se redressent, subtilement. C’est presque imperceptible. Mais le respect qu’il impose est absolu. Pas un mot. Juste sa présence.


Son regard traverse la pièce, survole chacun, sans s’attarder. Jusqu’à moi.


Il me voit.


Et je sens dans ses yeux ce mélange si particulier : exigence, évaluation, mais aussi… une forme de reconnaissance. Comme s’il s’assurait que je tienne encore debout.


Il s’approche.


— La brigade fonctionne bien, Paule ? demande-t-il. Sa voix est posée, basse, mais elle tranche comme une lame dans le silence.


Je réponds sans détour, consciente que chaque mot est une ligne de conduite.


— Ça avance. Mais ils restent méfiants.


Un sourire effleure ses lèvres. Mais ce sourire n’a rien de tendre. Il est professionnel. Calculé. Comme une observation de plus à noter dans son carnet mental.


— Normal. Ils veulent voir si tu vas durer. Si tu vas plier sous la pression ou si tu vas la digérer. Tu sais ce qu’il te reste à faire.


Je hoche la tête, mais je sens, dans mon ventre, cette boule qui ne se dissout jamais. Ce n’est pas de la peur. C’est cette tension que j’ai depuis toujours : celle de devoir mériter ma place. Prouver. Constamment. Inlassablement. Pas pour exister. Pour ne pas disparaître.


La journée se déploie. Longue. Éreintante. Je m’applique. J’observe. Je m’adapte. Je répète. Je mesure. Je recommence. La brigade me scrute sans relâche, mais ne dit rien. Chaque geste juste est à peine noté, chaque hésitation semble amplifiée.


Et puis, au fil des heures, quelque chose cède. Infime. Une inflexion dans l’attitude de Camille quand je réussis un montage en parfait équilibre. Un micro-sourire dans les yeux d’Addison lorsque je maîtrise une cuisson au degré près. Personne ne me félicite. Mais dans cet univers, le silence n’est plus une indifférence. C’est une acceptation.


Le temps passe. La pâte s’étale. Les fours chantent. Les heures s’usent. Et je m’use avec elles.


Vient enfin la pause. Elle est brève, mais elle est à moi. J’ôte mes gants, me faufile hors du laboratoire. Le silence des cuisines me poursuit un instant, puis se brise quand je pénètre dans l’air du dehors.


La fraîcheur du soir me gifle. Un souffle vivant sur ma nuque brûlante. Je marche. Pas très loin. Sans but précis. J’ai besoin de silence, de vide. D’air.


Et puis je le sens.


Samuel.


— Tu es là.


Sa voix est douce, presque ironique. Mais il ne sourit pas. Il est là, dans l’ombre, appuyé contre le mur comme s’il avait toujours su que j’allais passer par là.


— Pas facile de s’échapper, hein ?


Je me retourne, surprise. Il est proche. Mais pas trop. Il laisse juste assez d’espace pour que je me demande si je dois rester ou partir.


— Vous m’avez suivie ?


— Non. Je me suis dit que j’avais besoin de marcher. Et toi aussi, apparemment.


Il me regarde. Intensément. Et son regard ne cherche pas juste une réponse. Il cherche une faille.


— Alors ? Tu veux savoir ce que je teste, Paule ? Ta technique ? Ton endurance ?


Je croise les bras. Je suis fatiguée. Mais je n’ai pas envie de fuir.


— Vous ne testez pas que cela. Vous voulez savoir si je vais craquer.


Il s’approche d’un pas. Son regard se fixe sur le mien, et pour la première fois, je sens que le masque tombe un peu.


— Je teste ce que tu caches. Ce que tu ne montres à personne. Ce qui brûle sous la surface. La pression, Paule, ce n’est pas ce que le monde te met. C’est celle que tu t’imposes. Et c’est celle-là qui peut te broyer.


Je déglutis.


— Et vous ? Vous y résistez ?


Un rictus. Une ombre de vérité dans le sourire.


— Je fais mieux que résister. Je transforme. Je deviens ce que les autres attendent. Puis je les surprends. Je prends le contrôle. Toujours.


Il s’arrête. Me fixe. Et sa voix se fait plus grave.


— Je t’ai choisie parce que tu as ce feu. Mais il ne suffit pas de brûler. Il faut savoir canaliser l’incendie.


Je le regarde. Je me sens nue, sans défense. Et pourtant, plus droite que jamais.


— Je suis prête, dis-je. Même si une partie de moi tremble encore.


Il hoche lentement la tête. Son regard ne quitte pas le mien.


— Bien. Alors maintenant, la vraie partie commence. Bienvenue dans la pâtisserie telle que moi je la conçois.


Il se détourne. S’éloigne.


Je reste là. Seule. Sous la lumière froide d’un lampadaire.


Et pour la première fois, je ne sais plus si je suis une recrue…


… ou une proie.

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