Congratulations! Your support has been successfully sent to the author
avatar
chaoitre 63

chaoitre 63

Published May 30, 2025 Updated May 30, 2025 New Romance
time 4 min
0
Love
0
Solidarity
0
Wow
thumb 0 comments
lecture 6 readings
0
reactions

On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy7 articles to discover this month.

To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free! Log in

chaoitre 63

Tout a commencé par un appel manqué.


Rien de rare, en apparence. Un numéro inconnu sur l’écran de son téléphone, au cœur d’une matinée comme les autres. Samuel ne décroche pas. Il regarde l’écran une seconde de trop, puis le glisse dans la poche de son pantalon sans un mot. Je vois bien le micro-décalage. Ce minuscule flottement dans son geste. Ce battement de cils à peine plus lent. Ce silence un peu plus pesant que d’ordinaire.


Plus tard, une notification. Un message vocal.


Il s’éclipse dans le bureau technique, referme doucement la porte vitrée derrière lui. Personne ne semble y prêter attention. Sauf moi. J’interromps un geste, un mot, juste assez longtemps pour voir, dans sa silhouette figée, la tension qui s’installe.


Quand il revient, rien ne transparaît pour le reste de la brigade. Mais je le sens immédiatement. C’est imperceptible. Une tension logée dans les épaules. Une fermeture subtile dans le regard. Comme un verrou mental qu’il aurait claqué à double tour.


Il ne dit rien.


Pas maintenant.


Et je n’insiste pas.


Mais je sais déjà que cet appel vient de loin. Pas géographiquement. Mais viscéralement. D’un endroit qu’il croyait, ou qu’il espérait, définitivement scellé.


La journée avance comme à reculons.


Les fours tournent, les gestes se succèdent, les recettes défilent. Mais l’atmosphère a changé de densité. Comme si l’air avait épaissi. Même Steve s’en rend compte. Il ralentit, pose moins de questions, reste en périphérie.


Samuel est là, physiquement. Mais je sens qu’une partie de lui est restée coincée derrière cette porte, là où il a écouté ce message.


Il n’a pas besoin de hausser la voix pour que sa présence impose le silence. Mais ce silence-là n’est pas le sien habituel. Il est plus distant. Plus dur. Comme une armure qu’il remet en place, pièce par pièce.


Et moi, je continue à faire tourner le laboratoire. Mais chaque mouvement que je fais est orienté vers lui, en filigrane. Je surveille, je ressens, je reste à portée.


Je guette.


Ce n’est qu’en fin de journée que ça craque.


Le laboratoire s’est vidé. Les derniers bruits de vaisselle retombent. Les vestiaires sont silencieux. Nous rentrons chez nous sans dire grand-chose. Dans l’ascenseur, il garde les bras croisés. Sa mâchoire est fermée, son regard fixe le sol.


Chez nous, je prépare un plateau pour le dîner. Des légumes, du riz, des choses simples. Il s’assied au comptoir, le dos droit. Il m’observe en silence.


Puis, sans transition :


— C’était mon frère.


Je me fige. Juste une seconde. Je pose le couteau, lentement, et je me retourne.


Il fixe un point invisible, quelque part entre la table et le sol.


— Il ne m’a jamais appelé de sa vie sans raison. Il n’a même pas dit bonjour. Juste… qu’il fallait qu’on parle. Du testament. Du partage. De ce que “notre père” va laisser.


Il ne prononce pas le mot avec rancune. Juste avec cette sécheresse qu’il garde pour les gens qui ont cessé d’exister pour lui.


— Je ne lui ai rien dit. Ni sur moi. Ni sur toi. Ni sur ce qu’on construit. Il ne sait rien. Et il n’a pas demandé.


Je m’approche. Lentement. Je m’assieds sur le tabouret en face du sien.


Il relève les yeux. Son regard est froid. Distant. Mais je vois, sous la surface, ce tremblement infime qu’il déteste montrer.


— Il est comme lui, murmure-t-il. Même façon de parler. Même manière de faire comme si j’étais un grain de sable dans leurs rouages bien huilés. Comme si je leur devais quelque chose.


Il se redresse. Passe une main sur son visage.


— Ce genre d’homme, Paule… Ils ne savent pas voir. Ni ce qu’ils brisent, ni ce qu’ils laissent derrière. Et encore moins ce qu’ils manquent.


Je ne dis rien. J’attends qu’il se déleste, à son rythme.


— Il m’a parlé comme s’il était resté figé dans le passé. Comme si ce que je suis devenu ne comptait pas. Comme si mon absence pendant des années n’était qu’un détail.


Il s’interrompt. Regarde mes mains posées sur la table.


— Il croit encore que je vais dire oui. Que je vais rentrer dans leurs comptes. Leurs clés. Leurs calculs. Il pense que j’ai été en pause pendant vingt ans.


Un silence. Puis :


— Mais je ne suis plus là-bas. Et je ne veux pas y retourner.


Je prends une inspiration lente.


— Alors ne le fais pas. Tu n’as rien à lui prouver.


Il me regarde. Longuement.


— J’aimerais dire que c’est simple. Mais ce n’est pas qu’une histoire de patrimoine. C’est une question de… fin. De point final.


— Tu penses y aller ?


Il détourne le regard.


— Je ne sais pas.


Et cette réponse-là, je la respecte plus que n’importe quelle certitude.


Cette nuit-là, je le sens tendu contre moi. Il ne dort pas. Je l’entends respirer, lentement, lourdement. Les yeux ouverts dans l’obscurité. Moi, je veille aussi. Sans bruit. Sans geste brusque.


À un moment, il murmure, sans me regarder :


— Tu crois qu’on peut faire mieux que ce qu’on a reçu ?


Il ne parle pas de son frère.


Ni de son père.


Ni de lui.


Il parle de ce que j’abrite en moi. De cette attente silencieuse. De ce futur qui se dessine dans nos silences partagés.


Je pose ma main sur sa poitrine, là où le cœur cogne encore un peu plus fort que d’habitude.


— Je crois qu’on fera différent. Et que ce sera déjà énorme.


Il ferme les yeux.


Il ne me dit pas qu’il est soulagé.


Mais je le sens dans la manière dont il me tire doucement contre lui, sans mot, sans explication.


Et dans la nuit, nos respirations finissent par se rejoindre.


Le lendemain, rien n’est dit. Il ne reparle pas de son frère. Il ne dit pas s’il ira. Il vit la journée comme toutes les autres, avec cette concentration rigide qui le rend presque inaccessible.


Mais dans un de ces gestes suspendus, alors qu’il me tend un pot de vanille, nos doigts se frôlent. Et dans ce simple contact, je sais qu’il ne laissera rien – ni le passé, ni la colère, ni la peur – abîmer ce que nous construisons.


Et moi, je continue de croire que parfois, affronter les fantômes prend du temps.


Mais qu’un jour ou l’autre, il choisira comment fermer cette porte.


À sa façon.


Et que je serai là. Quoi qu’il décide.

lecture 6 readings
thumb 0 comments
0
reactions

Comments (0)

You must be logged in to comment Sign in

Are you enjoying reading on Panodyssey?
Support their independent writers!

Prolong your journey in this universe New Romance
Chapitre 78
Chapitre 78

Il avait connu l’ombre. La vraie. Celle qui avale les jours, qui ronge le silence, qui fait du sommeil un refuge fragile et...

Prescilliac
5 min
Chapitre 77
Chapitre 77

SamuelJe me tiens là, sous les projecteurs, une médaille d’or dans les mains. Je lève le bras dans...

Prescilliac
7 min
Chapitre 76
Chapitre 76

PauleLe réveil n’a pas sonné. Il n’en avait pas besoin. Il était là uniquement pour donner une illu...

Prescilliac
5 min
Chapitre 75
Chapitre 75

Le temps s’est mis à couler autrement.Ce n’est plus une ligne droite, ni une succession d’heures qu’on rat...

Prescilliac
5 min
Chapitre 74
Chapitre 74

La nuit est tombée sur notre appartement comme une caresse muette, légère et suspendue. Une de ces nuits de fin de printemps...

Prescilliac
5 min
Chapitre 73
Chapitre 73

On entre dans la salle de naissance alors qu’il fait encore nuit. Le monde, dehors, semble suspendu dans un souffle contenu,...

Prescilliac
6 min

donate You can support your favorite writers

promo

Download the Panodyssey mobile app