

Chapitre 33
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Chapitre 33
Deux jours ont passé. Deux jours de calme apparent, de gestes maîtrisés, de regards sans accrocs. Au laboratoire, tout se déroule comme nous l’avons planifié. Rien ne dépasse. Les recettes sortent avec une précision chirurgicale, la brigade suit le mouvement sans poser de questions. Chacun semble avoir compris que la stabilité repose désormais sur un équilibre trop fragile pour être bousculé.
Et ce soir, l’ascenseur m’a déposée au dernier étage.
J’ai à peine le temps de reprendre mon souffle que la porte s’ouvre sur un espace inondé de lumière tamisée, de silence maîtrisé, de verre et de vertige.
L’appartement de Samuel surplombe la ville comme un navire de verre. Des baies vitrées immenses encerclent la pièce, plongeant dans une mer de lumières et d’ombres. C’est un espace vaste, haut, silencieux, presque irréel. Un reflet de lui. De sa retenue. De sa puissance.
Il m’attend, adossé à l’un des piliers de béton brut. Les bras croisés. Le regard grave. Vert, tacheté d’or. Ce regard qui transperce, qui voit tout, mais ne dit rien.
Je n’avance pas. Il s’approche.
— Tu veux boire quelque chose ? demande-t-il dans un murmure.
Je secoue la tête. Il hoche doucement la sienne, comme s’il s’y attendait.
Un silence. Puis sa voix, plus rauque :
— Paule…
Il cherche ses mots. Je le sens lutter contre quelque chose d’enfoui. Son corps est là, figé, mais à l’intérieur, quelque chose pulse, se débat.
— Toute cette distance entre nous… cette façade au labo… Je croyais pouvoir la supporter. Pour la stratégie, pour qu’on tienne le cap. Mais je suis en train de m’effriter.
Je reste là, figée, à quelques pas de lui, sentant la tension s’installer, familière. Tranchante. Désirable.
Il continue, le regard fuyant :
— J’ai appris à tout verrouiller. À contenir. Mais toi, tu… Il s’interrompt. Son souffle est court. Il détourne le visage vers la baie vitrée, comme s’il y cherchait une échappatoire.
Je m’approche lentement.
— J’ai peur aussi, dis-je simplement. Pas de toi. Mais de ce que je deviens à côté de toi, quand je me retiens. Quand je fais semblant.
Ses yeux s’assombrissent. Et quelque chose bascule.
Je tends la main, frôle son poignet. Il ne bouge pas. Mais il est là. Entier. Vibrant. À deux doigts de céder.
Alors, sans un mot de plus, je l’embrasse.
C’est moi qui franchis cette fois-ci la frontière. Pas lui. Moi.
Il répond avec une lenteur contenue, douloureuse presque. Mais je sens ses mains se poser sur mes hanches, m’attirer, comme un homme assoiffé depuis des jours. Il m’embrasse comme s’il voulait me retenir de tomber. Ou comme s’il tombait avec moi.
On se déplace sans y penser, jusqu’à cette baie vitrée qui domine la ville. Là, face à l’immensité nocturne, je déboutonne sa chemise. Il ferme les yeux quand mes doigts glissent contre sa peau tendue. Il est chaud. Solide. Silencieux.
Ses lèvres cherchent ma nuque, mes clavicules, avec une douceur presque cruelle. Il prend son temps, explore, savoure chaque frémissement. Ma chemise glisse sur le sol. Puis mon pantalon. Un par un, les vêtements tombent, comme des couches qu’on arrache à notre histoire.
Samuel s’agenouille, embrasse mon ventre, lentement, puis remonte. Je sens son souffle s’accélérer contre ma peau nue.
Je le pousse doucement contre la vitre. Il me regarde, haletant. Je m’agenouille à mon tour, embrasse ses hanches, la courbe de son ventre, sa cicatrice fine juste sous les côtes. Il gémit bas, une plainte rauque qu’il étouffe contre sa main.
Quand il me soulève, ses bras sont durs comme l’acier. Il me porte jusqu’à la paroi vitrée, me plaque contre elle, mes seins frémissant au contact froid du verre, mon dos cambré. La ville s’étale devant nous. Mais ce soir, c’est moi qu’il dévore.
Il me pénètre lentement, profondément, dans un mouvement contrôlé, presque douloureux de retenue. Je m’ouvre à lui, sans défense, les paumes à plat contre la vitre. Mon souffle se brise à chaque va-et-vient, chaque pulsation. Il murmure mon prénom, parfois entre ses dents, parfois comme un cri étouffé.
— Paule…
Puis, la voix plus grave, plus féline, un souffle brûlant à l’oreille :
— Regarde comme nous pouvons dominer le monde. Comme ici, où nous dominons la ville.
Il s’ancre en moi, et je sens tout : sa peur, sa rage, sa tendresse honteuse, sa faille. Il se retient de jouir trop vite, serre les dents, ses doigts s’enfoncent dans ma taille. Et moi, je me cambre, l’implore en silence de ne pas lâcher.
Nos corps claquent contre la vitre, et dehors, les étoiles assistent à ce naufrage brûlant.
Puis tout s’emballe.
Les coups de reins s’accélèrent, deviennent plus bruts, plus désespérés. Il n’y a plus de stratégie, plus de masque. Il y a lui. Il y a moi. Nus. Essentiels.
Quand l’orgasme me traverse, je m’effondre contre la vitre, en larmes, haletante. Lui me suit, un râle grave au fond de la gorge, le corps tremblant.
Il reste en moi quelques secondes, les bras enroulés autour de ma taille, son front collé à ma nuque.
On ne dit rien.
Il me porte ensuite jusqu’au grand canapé, enveloppée dans un plaid. Nos peaux s’attirent encore, mais cette fois, c’est le silence qui domine.
Un silence plus lourd encore que le désir.
Parce que ce qu’on vient de faire n’est pas une étreinte. C’est une déchirure.
Une confession sans mots.
Et peut-être, une promesse que rien d’autre ne pourra tenir.
Je ne dors pas. Mon corps se repose contre le sien, mais mon esprit veille. Sa main sur mon ventre est d’une chaleur paisible, presque irréelle. Il est là. Il respire contre moi. Et pourtant, j’ai peur qu’au moindre souffle, tout s’effondre.
— Tu penses encore, murmure-t-il dans ma nuque, sans bouger.
Je ferme les yeux. Je pourrais mentir. Dire que non. Mais ce serait rompre quelque chose entre nous.
— Je pense… à ce que tout cela signifie.
Il ne répond pas tout de suite. Ses doigts bougent à peine, dessinant des cercles invisibles sur ma peau.
— Et tu as trouvé une réponse ?
— Non. Seulement une évidence : je ne veux pas que ça redevienne comme avant.
Il inspire lentement.
— Moi non plus.
Il se redresse légèrement, s’appuie sur un coude. Dans l’obscurité, ses yeux brillent faiblement, comme deux balises dans la nuit.
— J’ai écrit à la direction, tu sais.
Je me tourne vers lui, attentive.
— Ils ont accepté la demande de délai.
Un poids glisse de mes épaules. Il ne le dit pas, mais c’est sa manière de nous protéger. Encore. Toujours.
Je passe une main dans ses cheveux. Il ferme les yeux, comme un animal sauvage qui se laisse enfin apprivoiser.
— Merci, Samuel.
Il ne dit rien. Mais je sens, dans la manière dont il m’enlace de nouveau, que ce merci-là, il l’accueille comme une victoire intime.
Et dans ce lit silencieux, au milieu d’un monde qui bruisse, s’agite, exige, on se promet — sans un mot — que quoi qu’il arrive, on ira au bout de cette histoire.
Même si elle brûle.
Même si elle fait mal.
Parce qu’elle est vraie. Parce qu’elle nous rend vivants.

