Voyage à Tokyo (1953) Yasujiro Ozu
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Voyage à Tokyo (1953) Yasujiro Ozu
On ne choisit pas ses enfants, on ne choisit pas sa famille
Les films de Yasujiro Ozu ont été découverts en Occident dans les années 1960, une dizaine d’années après ceux de ses compatriotes Akira Kurosawa et Kenji Mizoguchi. Ce cinéaste exigeant et méthodique a su petit à petit construire une œuvre cohérente et homogène qui dessine un portrait lucide de la société japonaise. Si les japonais lui préfèrent parfois Printemps tardif, un des films qui revient le plus souvent parmi ses meilleurs reste Voyage à Tokyo. Mais les longs-métrages d’Ozu sont plus à envisager comme un tout, un travail d’artisan qui révèle l’âme de ses protagonistes au travers d’histoires de familles et montre l’évolution du Japon vers la modernité.
Shukishi et Chieko sont un couple d’une soixantaine d’années. Ils vivent dans la campagne japonaise avec leur fille cadette, Kyoko. Leurs quatre autres enfants sont depuis longtemps partis s’établir à la ville, majoritairement à Tokyo. Ne les voyant pas souvent, ils décident de faire le voyage jusqu’à la capitale pour leur rendre visite. Ils vont vite découvrir que leurs enfants ont une vie bien organisée qui les empêchera de s’occuper d’eux, ne serait-ce que pour visiter la ville. Alors que les deux frère et sœur décident d’envoyer leurs parents dans une ville thermale pour ne plus les avoir à charge, seule la veuve du fils décédé à la guerre leur témoigne l’affection qu’ils méritent.
On suit les petites aventures quotidiennes de ce vieux couple au fur et à mesure, sans empressement. Le cinéma de Yasujiro Ozu a son propre univers temporel, il prend le temps de montrer les choses de la vie simplement, sans effet et avec une mise en scène parfaitement statique. Le cinéaste déclarait que pour lui, pour qu’un film soit réussit il faut « renoncer à l’excès de drame et à l’excès d’action ». C’est précisément le cas dans Voyage à Tokyo : l’action est parcimonieuse et subtilement intégrée au récit, elle ne prend pas le pas sur la réflexion. Du coup, son effet sur le spectateur n’en est que décuplé, puisqu'on a pris le temps de bien connaître les personnages qui vivent devant nous ces événements de la vie quotidienne.
On sera ainsi d’autant plus impliqué dans le sort des uns et des autres et on se sentira naturellement touché par leurs réactions. Par exemple, la froideur et l’avarice de la fille, Haruko Sugimura étonnante de dureté, nous la rendent franchement antipathique tandis qu’à l’inverse la bonté naturelle de la belle-fille, superbe Setsuko Hara, nous est révélée dans toute sa splendeur. Yasujiro Ozu aimait être fidèle avec ses collaborateurs : il travaille, avec Voyage à Tokyo, avec ses techniciens traditionnels et encore une fois avec son acteur fétiche, Chishu Ryu, particulièrement touchant en père qui refuse d’accepter la déception qu’il ressent devant la désaffection affective de ses enfants.
Car Voyage à Tokyo ne porte pas de jugement hâtif sur ses personnages, que ce soient ces enfants qui veulent vivre leur vie ou ces parents qui se sentent délaissés. Il ne fait que rendre impeccablement (et de façon implaccable) un état de fait, celui d’une société japonaise (et de la société en général) qui sort douloureusement de la Seconde guerre mondiale et qui avance doucement vers la modernité avec ce qu’elle a de cruel, en ayant un regard un peu nostalgique envers la tradition incarnée par ces deux parents. C’est aussi un film magnifique sur la vieillesse, tout comme le sera trente ans plus tard La ballade de narayama de Shohei Imamura, qui joue ici le rôle d’assistant réalisateur.