Alice n’est plus ici (1974) Martin Scorsese
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Alice n’est plus ici (1974) Martin Scorsese
Être une femme libérée tu sais c’est pas si facile
On ne peut pas dire que la gent féminine soit majoritaire dans la filmographie de Martin Scorsese ; raison de plus pour s’attarder sur son quatrième long-métrage, Alice n’est plus ici. Nous sommes en 1974 et le réalisateur est fraîchement auréolé du succès de Mean streets. Ellen Burstyn, quant à elle, a les faveurs du studio Warner grâce à sa prestation dans L’exorciste. Conseillée par Francis Ford Coppola, elle va imposer Scorsese pour réaliser un film sur un sujet qui la touche particulièrement en ces temps de féminisme naissant : le portrait d’une femme qui décide de prendre son destin en mains. Le film vaudra à Burstyn l'Oscar de la meilleure actrice, dans une compétition où figuraient Faye Dunaway pour Chinatown et Gena Rowlands pour Une femme sous influence.
À l’âge de huit ans, lorsqu’Alice vivait encore à Monterey, son but était de devenir chanteuse. Vingt-sept ans plus tard, elle vit à Soccoro une vie monotone de femme au foyer, avec un mari irascible qui la délaisse et un gosse fatiguant. Quand elle a un moment de liberté, elle se prête à rêver, avec son amie Bea, de quitter son homme pour une vie meilleure. C’est alors qu’elle apprend la mort de celui-ci dans un accident de voiture. Effondrée, elle n'a pas d'autre choix que de vendre sa maison et décide de tout quitter avec son fils Tommy pour retourner là où elle a été le plus heureuse, dans son village natale de Californie. Mais une femme seule sans argent et avec un fils de onze ans à nourrir n’a pas la vie facile, en particulier dans les années 1970.
Le générique et la toute première scène d’Alice n’est plus ici ont de quoi étonner un habitué des films de Martin Scorsese. On se croirait en plein dans les années 1950, avec les couleurs saturées du Technicolor et une chanson digne des comédies musicales d’antan. Ce début est assez peu habituel pour un cinéaste habitué aux environnements urbains et à des rythmes cadencés. Mais on peut compter sur Marty pour revenir à la réalité dès la scène qui suit : autant le tout début nous montrait une vision idéalisée de l’enfance d’Alice, autant à partir de là nous pouvons observer son quotidien décevant, pratiquement trente ans plus tard. On retrouve alors la mise en scène frénétique, les travellings et autres décadrages qui ont fait la réputation de Scorsese à ses débuts.
Mais là s’arrête la comparaison : Alice n’est plus ici ne ressemble en rien à ce qu’a pu nous montrer jusqu'alors Martin Scorsese, mais ajoute une facette de plus à un réalisateur déjà éclectique, et qui saura tout au long de sa carrière varier les genre. Si comparaison il fallait établir, elle se situerait plutôt du côté d’un Wanda, réalisé quatre ans plus tôt par Barbara Loden, dans cette mouvance de films dits féministes qui montraient la difficile lutte des femmes pour imposer leur liberté. Pourtant ici aucune revendication revancharde, et Alice est montrée sous toutes ses facettes, à la fois libre et indécise, indocile et pourtant dépendante d’un soutien masculin. On a devant nous le portrait d’une femme fragile et téméraire, un être humain complexe et attendrissant.
Si le film gagne à être connu, c’est en grande partie grâce à la prestation d’Ellen Burstyn, qui incarne Alice avec une force et un charme qui force l’admiration. Alors au faîte de sa maturité, l'actrice, qui s'est formée à l'Actor's studio, montre une grande palette d'émotions, apportant une incarnation sans pareil à son personnage. Épaulée par des personnages masculins charismatiques - Harvey Keitel en brute qui cache son jeu et Chris Kristofferson en cow-boy improbable -, elle tire son épingle du jeu de façon remarquable. Alice n’est plus ici est aussi l’occasion de voir Jodie Foster et Laura Dern dans un de leurs tout premiers rôles, ce qui n’est pas déplaisant. On a donc un film d’une grande maturité, loin d’être tape-à-l’œil mais au charme ravageur.