Cette musique ne joue pour personne (2021) Samuel Benchetrit
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Cette musique ne joue pour personne (2021) Samuel Benchetrit
Essayer de réenchanter le monde
Le parcours de Samuel Benchetrit commence dans la banlieue parisienne où il a grandi, en étant issu d’une famille modeste. Autodidacte, il publie un premier roman à l’orée des années 2000 après avoir réalisé quelques courts-métrages, puis, tout en continuant son travail d’écriture, met en scène ses compagnes successives dans des longs-métrages : Marie Trintignant dans Janis et John, Anna Mouglalis dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster, et aujourd’hui Vanessa Paradis dans Cette musique ne joue pour personne. Sélectionné dans la section Cannes Première du Festival de Cannes, le film bénéficie à l’écriture de son complice Gabor Rassov, et peut se faire valoir d’un casting élégant, qui mélange entre autres François Damiens et Valéria Bruni-Tedeschi, JoeyStarr et Bouli Lanners. Campant ses personnages dans une ville portuaire du Nord de la France, qui ressemble fortement à Dunkerque, le film mêle leurs histoires décalées.
Dans une salle de MJC, Jeff déclame le poème qu’il a écrit pour une jeune caissière de son supermarché. Tandis que la majorité des autres membres de l’assemblée l’applaudissent pour le courage qu’il a eu, il se rend compte que l’un d’entre eux se montre moqueur. En sortant, il le tabasse et retourne dans sa voiture pour retrouver Neptune et lui demander de transmettre son texte à sa destinataire. De son côté, Jacky sort du coffre de sa voiture une hache et il se dirige vers une maison où une femme, Suzanne, récite visiblement un texte qu’elle a appris, habillée d’un tailleur et coiffée d’un turban. Elle lui ouvre la baie vitrée et il lui dit qu’il cherche un homme qui doit de l’argent à son patron. Il se trouve que c’est le mari de Suzanne mais qu’il n’est pas présent. Elle lui confie alors que l’argent qu’ils lui doivent est destiné à financer une comédie musicale autour de Sartre et Beauvoir qu’ils sont en train de monter. Elle lui fait part de l’enjeu que cette pièce revêt pour elle : d’ailleurs, quand elle joue, elle ne bégaie plus.
Un humour pince-sans-rire court durant Cette musique ne joue pour personne. Le trait le plus saillant de quasiment chacune de ses scènes est le décalage. Le début pose le cadre, avec ce gros dur qui clame des vers et tabasse quelqu’un à la sortie d’une salle des fêtes. On a droit à des amateurs qui répètent une comédie musicale autour de la vie de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre, mais aussi deux hommes de mains qui déambulent dans un lycée pour convaincre par la force des adolescents à participer à une « boum ». Samuel Benchetrit n’a pas peur de la répétition, et tout le film est construit sur ces oppositions de style et de caractères. Ainsi Valeria Bruni Tedeschi va-t-elle jouer un rôle à contre-emploi et ce n’est pas JoeyStarr mais Bouli Lanners qui impressionne les personnes et joue les fiers-à-bras. Sachant qu’encore une fois son personnage n’est pas uniforme puisqu’il lit des ouvrages de développement personnel aux phrases creuses.
On retrouve dans Cette musique ne joue pour personne un univers que Samuel Benchetrit a mis en scène dans plusieurs de ses longs-métrages. Les protagonistes du film sont des gangsters un peu bas de gamme, des escrocs gentiment losers, qui forment une espèce de petite mafia du coin. Ils n’hésitent pas à employer la violence physique et verbale, et emploient des moyens peu orthodoxes pour arriver à leurs fins. Ce n’est d’ailleurs pas innocent que le programme qui passe en boucle à la télévision soit une énième émission de télé-réalité, où les filles et les garçons jouent un rôle exagérément vulgaire et dont le décalage est risible, mais qui rend pourtant les personnages du film accros. De même, l’artificialité de la comédie musicale qui tellement à cœur à une Vanessa Paradis toujours excellente est assez saisissante. On ne sait pas trop comment réagir devant une telle naïveté, et l’on se demande si le réalisateur est complice avec ses personnages ou s’il les regarde de haut.
Pourtant on a envie de croire en la sincérité du discours de Cette musique ne joue pour personne. L’art comme un exutoire, une manière ultime de sublimer le réel, tout ceci n’a rien de nouveau. C’est pourtant ce qui se joue dans chacune des séquences qui nous sont présentées. De la poésie au spectacle vivant en passant par la littérature ou la spiritualité, chacune de ces formes d’expression artistique apportent une certaine forme de réconforts aux protagonistes de ce récit. Toutes et tous expérimentent un quotidien morne et sans aspérité, et pourtant ils ont l’air de chercher quelque chose. C’est aussi le fil rouge du film, que de nous présenter des couples qui se cherchent, parfois se manquent mais toujours cherchent à être aimés. Leurs solitudes s’avèrent au final touchantes, et même si tout ceci n’est pas amenés de façon très fine, on éprouve de la tendresse à les voir danser maladroitement. Rien de tout ceci n’est très original mais l’humour et la poésie n’ont jamais fait de mal à personne, après tout.