Pour l’éternité (2021) Roy Andersson
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Pour l’éternité (2021) Roy Andersson
Ultra ancienne solitude
Bien qu’il en réalise depuis une cinquantaine d’années, Pour l’éternité n’est que le sixième long-métrage de Roy Andersson. Né à Göteborg durant la Seconde guerre mondiale, il se fait remarquer dès A swedish love story, primé au Festival de Berlin, puis, six ans plus tard, par son deuxième film, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Il attendra vingt ans avant de retourner vers le cinéma après une expérience dans la publicité, qui lui vaut tout autant d’honneurs de la part des professionnels du secteur. Devenu producteur indépendant, il revient en force au Festival de Cannes en 2000, remportant le Prix du jury, ex-æquo avec l’iranienne Samira Makhmalbaf, pour Chansons du deuxième étage. Souvent vu comme expérimental, son travail a été salué par le Musée d'art moderne de New York, qui a organisé une exposition sur ses œuvres en 2009. Le mouvement de la Nouvelle Objectivité, dont l’artiste phare est Otto Dix, a particulièrement inspiré Pour l’éternité.
Un homme rentre chez lui avec des courses, souhaitant faire plaisir à son épouse en lui préparant à dîner. Il rencontre un ancien camarade de classe qu’il n’avait pas vu depuis des années. Quand il l’appelle, son ami ne lui répond pas et l’homme se souvient qu’il s’est moqué de lui tout au long de la scolarité. Un homme lit son journal au restaurant, seul, tandis que son serveur ouvre délicatement une bouteille de vin. Il lui fait goûter, puis, quand il la lui sert, il est distrait et le verre déborde, renversant du vin sur la table. Une directrice de la communication contemple la vue de la ville dont elle bénéficie du haut de son bureau. Un homme fouille sous son matelas pour chercher ses économies qu’il refuse de mettre à la banque. Un homme fait un cauchemar, où il parcourt un chemin de croix, la foule criant de le crucifier tandis que ses bourreaux le malmènent et l’injurient, et qu’il ne comprend pas ce qu’il a fait pour devoir subir un tel calvaire. Il crie en se réveillant et son épouse lui donne un verre d’eau.
Comme à son habitude, Roy Andersson privilégie dans Pour l’éternité les images fixes. Le film n’est d’ailleurs constitué que d’une succession de plans larges, dont le peu d’action est commentée par une voix féminine introduisant ou bien illustrant ce que l’on voit à l’écran. C’est une esthétique de l’immobilité qui est ici privilégiée, et qui peut tout à fait déstabiliser des spectateurs modernes, habitués à une profusion de mouvements. Le résultat nous donne à voir plusieurs tableaux vivants, dont on ne peut que constater l’influence picturale. Les cadres sont très recherchés, et la multiplication des détails, souvent signifiants, ne peut qu’être souligné. Le réalisateur suédois, dont on peut supposer l’influence qu’ont pu avoir les films d’Ingmar Bergman, qui ne sont pas réputés pour leur dynamisme formel, cultive ainsi un style fort et puissant. C’est sans doute ce qui a conduit les membres du jury du Festival de Venise à lui décerner le Prix du meilleur réalisateur en 2019.
Cette rigueur de la mise en scène dans Pour l’éternité est mise en perspective avec des thématiques pas très heureuses et des personnages à la froideur déconcertante. La dépression les guette toutes et tous plus ou moins, entre un prêtre qui a perdu la foi et le chef militaire d’une armée en déroute. Le parangon de toutes ces situations se concrétise dans la figure récurrente de ce dentiste lassé de son métier, que son assistante excuse en disant qu’il est déprimé, qui, quand il l’exprime à voix haute dans un transport en commun, ne reçoit que de l’hostilité de la part des autres voyageurs. Les seuls rares figures vaguement optimistes dans cet univers sont jeunes : trois filles dansent devant les clients d’un café, un couple disserte sur l’énergie et sa potentielle infinitude. Mais en général, les situations proposées génèrent plus de douleur, de frustration ou d’incertitude que d’espoir, de joie ou de plaisir. Et le dispositif statique de la mise en scène de Roy Andersson ne fait que renforcer ce sentiment d’enfermement.
Pourtant avec son titre, Pour l’éternité laisse penser que l’optimisme vaincra, et le fait que seuls les personnages jeunes du film incarnent ce léger sentiment d’espoir devrait nous le faire comprendre. Seulement tout cela est tout de même très théorique, à l’image de ces deux scènes plus ou moins centrales présentant des figures de l’Histoire. L’une nous montre deux officiers allemands en petite forme, ne bougeant que pour saluer Adolf Hitler quand il entre dans la pièce. L’autre présente les troupes stalinienne vaincues qui quittent les champs de bataille. Est-ce à dire que l’Histoire se répète ou bien que tout nous est permis pour la suite, selon notre humeur nous pourrons l’interpréter d’une façon ou d’une autre. Restent les quelques traits d’humour qui parsèment le film, un humour à froid très scandinave, égayent un peu son propos. Nous n’avons pas non plus affaire à la grosse comédie populaire de l’année, mais à un film d’art et d’essai, dont la qualité plastique est indéniable.