Les deux Alfred (2021) Bruno Podalydès
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Les deux Alfred (2021) Bruno Podalydès
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Depuis bientôt trente ans, les frères Podalydès ont investi les univers du cinéma et du théâtre français. L’aîné, Bruno, est en charge de la réalisation des films où apparaît toujours Denis, dans des rôles plus ou moins conséquents. Mais ce n’est pas si simple, puisqu’ils écrivent parfois le scénario à quatre mains, comme c’est le cas dans Les deux Alfred, et que Bruno interprète souvent un rôle dans son film, souvent secondaire même si cette fois-ci il a choisi d’incarner un personnage clé du récit. Quand à Denis Podalydès, il est devenu sociétaire de la Comédie française au début des années 2000, et a mis en scènes quelques spectacles, tout en rêvant à demi-mot de s’essayer à la réalisation cinématographique. Sélectionné au Festival de Cannes en 2020, le projet des Deux Alfred est venu à l’idée de Bruno Podalydès quand il a eu des enfants, puis quand son frère est aussi devenu père. Les ressorts de comédie, son genre de prédilection, qu’il pouvait exploiter de ce simple état de fait lui semblaient nombreux.
En face de son banquier, qui lui dit que sa situation financière est préoccupante, Alexandre tente d’expliquer sa situation. Son épouse, qui travaille dans la Marine nationale, a quitté le domicile conjugal en lui donnant un ultimatum : il a deux mois pour lui prouver qu’il est capable de s’en sortir, financièrement et avec leurs deux fils en bas âge. Il faut dire qu’elle a appris depuis peu qu’il l’avait trompé, et que, ancien employé d’une imprimerie, il est un cinquantenaire au chômage. Mais il a bientôt un rendez-vous d’embauche, pour une start-up dont il ne sait pas quel est le domaine d’activité, ni ce que ses futurs potentiels employeurs attendent de lui. En accompagnant ses enfants à la crèche, il rencontre un homme, venu déposer les enfants de quelqu’un d’autre. Ils sympathisent autour d’un café : son nouvel ami se fait appeler Arcimboldo, et il navigue entre plusieurs occupations professionnelles, toutes liées à la dématérialisation et aux applications numériques.
Sensation étrange après la projection des Deux Alfred que de se mettre tout d’un coup à fredonner L’eau vive, de Guy Béart. Et l’on se dit que l’on n’avait pas entendu cette chanson depuis bien longtemps, tout comme le personnage incarné dans le film par Sandrine Kiberlain quand passe dans sa voiture La montagne, de Jean Ferrat. Car on fond, la bande originale du long-métrage de Bruno Podalydès reflète très bien son propos général : faire du neuf avec du vieux, et inversement. C’est d’ailleurs intéressant de voir que la bande son contient des reprises, comme cette délicieuse autant qu'improbable réorchestration au banjo de Da Funk, des Daft Punk, qui ont cela dit bien alimenté le film en musique, ou bien cette revisitation du Grand sommeil, d’Étienne Daho. Mais on y entend aussi des chansons de patrimoine, comme Votre fille a vingt ans, de Serge Reggiani, dont les seules paroles murmurées par Kiberlain et Podalydès suffisent à faire apparaître des sourires et des larmes, tout simplement.
Voilà qui résume bien Les deux Alfred, où le mélange entre rire et émotion est intégré à part égale, tout à fait harmonieusement. Le film décortique avec finesse et férocité le monde contemporain dans lequel nous évoluons, et les gadgets qui encombrent les décors sont sources de gags très bien sentis. Des drones envahissant l’espace public, qui renvoient bien entendu aux trottinettes de nos villes, à cette gigantesque cigarette électronique, en passant par une voiture sans chauffeur, on tombe sous le charme autant que l’on salue le talent de Bruno Podalydès pour pointer du doigts les dysfonctionnements de la société. Le monde du travail, au cœur même de son scénario, n’est pas en reste, avec ses espaces de coworking infantilisants et son langage jargonneux à outrance. Bien sûr on sent le regard, non pas méprisant mais décontenancé du réalisateur, qui fait camper à ses trois interprètes principaux des décalés de cet univers oppressant, tentant d’y survivre vaille que vaille.
Soulignons d’ailleurs la qualité de la distribution des Deux Alfred, et dont une grand partie des participants sont des habitués du cinéma de Bruno Podalydès. Le fait qu’il incarne un des trois protagonistes est une belle réussite, il utilise la complicité fraternelle qu’il partage sincèrement avec Denis, donnant encore plus de chair à des personnages qui, il faut bien l’admettre, ne sont sur le papier que des esquisses. Leur interprétation permet d’ailleurs d’excuser les incohérences scénaristiques et les raccourcis inhérents à une comédie qui se veut brève efficace. On ne se lasse pas de voir à leurs côtés la pimpante Sandrine Kiberlain, complètement à l’aise dans cet univers poétique et lunaire, et qui parvient à nous surprendre de film en film. La troupe de Bruno Podalydès répond ici présent, on y remarque particulièrement Michel Vuillermoz, qui donne du corps et de l'esprit à son petit rôle, et la magnifique Isabelle Candelier, hilarante dans une scène de pure comédie. On en redemande.