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Le guépard (1963) Luchino Visconti

Le guépard (1963) Luchino Visconti

Pubblicato 10 giu 2021 Aggiornato 10 giu 2021 Cultura
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Le guépard (1963) Luchino Visconti

La perfection sinon rien

Si Le guépard a obtenu la Palme d'or du Festival de Cannes en 1963, rien n'était pourtant gagné. La production, coûteuse, va signer la fin de la branche cinématographique du studio de Titanus, qui désormais ne produira que des oeuvres de télévision. Une phrase clé, du livre comme du film, le résume parfaitement : « Nous étions les guépards, les lions. Ceux qui nous remplaceront seront les chacals, les hyènes. Et tous tant que nous sommes, guépards, lions, chacals, brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la Terre ». Dans cette citation figure la sève du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Cette adaptation permet à Luchino Visconti  de revenir, près de dix ans après Senso, sur la révolution italienne, plaçant son action en 1860, au moment de l’arrivée de Giuseppe Garibaldi en Italie.

En 1860, après le débarquement de Giuseppe Garibaldi  en Sicile, Don Fabrizio Salina voit inexorablement son monde s’effriter sous ses yeux et sent bien que les choses ne seront plus jamais comme avant. Les aristocrates perdent du pouvoir tandis que les propriétaires terriens gagnent de plus en plus d'influence. Il prend donc le parti bien malgré lui de s’accommoder de cet état de fait en encourageant le mariage de son neveu préféré, Tancrède, avec la fille d’un bourgeois, le maire du village de sa résidence d'été, un homme qu’il méprise d'autant plus que celui-ci représente la future caste dirigeante. De son côté, Tancrede, qui a combattu dans les colonnes garibaldiennes, se montre plus pragmatique et souhaite faire tourner les événements à son avantage.

Et Luchino Visconti de se montrer aussi cruel envers cette aristocratie décadente qu’envers tous ces opportunistes capables de retourner leur veste au gré du vent de l’Histoire. Là réside toutes les contradictions d’un homme à la fois attiré par les idées communistes et par ses origines aristocratiques, Le point de vue adopté est ici celui du comte Salinas, que Visconti lui-même a hésité à interpréter, et que Burt Lancaster campera de façon magnifique. Cela résume bien la trajectoire d’un réalisateur qui commença sa carrière avec le néoréalisme (Les amants diaboliques) pour peu à peu s’en éloigner. Avec Le guépardVisconti donne libre cours à un sens de l’esthétisme inégalé : décors prodigieux, costumes flamboyants, qualités picturales des scènes évoquant les plus beaux tableaux : c’est du travail d’orfèvre.

L’interprétation de ce Burt Lancaster en contre-emploi donne chair à un personnage à la fois imposant et vieillissant, tandis que Claudia Cardinale est éblouissante, son regard de braise fait des ravages. Les yeux bleus d'Alain Delon, au faîte de sa carrière, ne laisseront pas non plus les spectatrices (et les spectateurs) de marbre. Et que dire de la splendide scène de bal qui clôt Le guépard, symbole admirable d’une classe qui se pare de ses plus beaux atours pour accueillir en son sein ses plus fervents adversaires. Elle fut tournée dans le Palazzo Gangi de Palerme, décoré pour l'occasion de splendides meubles, ainsi que de cette imposante copie de La mort du juste, de Jean-Baptiste Greuze. Les costumes des centaines de figurants de cette scène de plus de quarante minutes sont tout autant époustouflants.

Autre phrase mythique du film, « Pour que rien ne change, il faut que tout change », nous dit un prince Salinas, répétant, désabusé mais lucide, les propos de Tancrède. Passé tout cela, que lui reste-t-il, et par là même que nous reste-t-il ? Peut-être le réalisateur nous laisse-t-il entrevoir que face à la mort se dresse l’Art. Luchino Visconti amorce ici une réflexion, qu’il poursuivra avec Mort à Venise, sur l’amour de l’art, sur l’artiste et sa place dans la société. Lui qui a grandi avec une culture artistique aiguë ne cessera d'en mettre en avant sa vision, avec une touche de décadence prononcée. Nul doute qu’avec des films comme Le guépard, le réalisateur italien mérite sa place bien haut dans le panthéon de l'histoire du cinéma, et dans l'histoire de l'art en général.

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