Gozu (2003) Takashi Miike
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Gozu (2003) Takashi Miike
La petite musique de Miike
Aucun doute à avoir, on est bien avec Gozu dans un long-métrage de Takashi Miike. Le facétieux réalisateur japonais, après avoir dynamité les genres codifiés du thriller ou du film de yakuza dans Audition et Ichi the killer, réalise ici un film inclassable et très personnel qui surfe avec talent sur de nombreux genres. Miike s’amuse visiblement à perdre le spectateur et à le tenir en haleine d’une façon malicieuse et iconoclaste. Le film est présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, et sort quasiment un an après sur les écrans français, assorti d’une interdiction pour les moins de 16 ans, ce qui donne une idée de la transgression opérée dans le long-métrage. Autrement dit, âmes sensibles, s’abstenir, ce qui est un bon signe pour d’autres spectateurs.
Le début
Minami et Ozaki, deux yakuzas, ont développé une relation de proximité intense depuis que Ozaki a sauvé Minami d’une mort quasi certaine. Mais Ozaki est fragile et de plus en plus déprimé et sujet à des troubles paranoïaques sévères, jusqu’à soupçonner un simple chien d’être un ennemi à abattre. Leur patron charge alors Minami d’envoyer son collègue à la « décharge », située à Nagoya. Suite à une crise d’Ozaki, la voiture des deux gangsters freine brutalement et Ozaki meurt sur le coup. Le temps que Minami essaye d’appeler leur chef pour le prévenir de l’incident, le corps d’Ozaki disparaît mystérieusement. Minami part donc à sa recherche et fait la connaissance d’un barman travesti, ou de deux aubergistes frère et sœur aux troublantes relations sadomasochistes.
Analyse
Dès la première scène de Gozu, le spectateur est pris à rebrousse-poil : on assiste, avec un humour à froid et une fantaisie de bonne augure pour la suite du film, à une réunion de yakuzas qui se termine pour le moins bizarrement. S’ensuit un voyage en voiture entre deux yakuzas à la manière de Takeshi Kitano, où est développée, non sans humour, la relation quasi filiale, voire homo-érotique, entre les deux protagonistes. Arrivé à Nagoya pour tuer son comparse, Minami est alors projeté dans un monde étrange que David Lynch n’aurait sans doute pas renié. Il suffit de voir le personnage de N’ose, sorte de clown blanc issu de nulle part, pour s’en convaincre. Une dernière partie assez proche de l’univers de David Cronenberg cloue littéralement le spectateur avec un final d’anthologie.
Cette fin surprend d’autant plus que le reste de Gozu est traité avec une lenteur particulière, amenant le spectateur à s’ennuyer parfois. Takashi Miike confirme d’ailleurs bien volontiers son intention de prendre le spectateur à contre-pied pour mieux voir comment il réagirait à une telle fin, qu’il serait fort dommageable de divulgâcher, et que l’on peut assurément conseiller aux amateurs de cinéma gore. Le film est truffé d’humour, comme la scène chez l’épicière américaine, qui est particulièrement irrésistible, et on y retrouve bien sûr les obsessions tantôt scatologiques tantôt sexuelles d’un réalisateur qui assume franchement ses perversions voire son mauvais goût. Tout doit-il être pris au premier degré, certainement pas, et deux ou trois exégèses mériteraient d’être développées.
Tout ça dans une ambiance tendue jusqu’au paroxysme final : avec sa réalisation impeccable à couper au couteau, Takashi Miike nous laisse pendant tout le long-métrage dans un état de fébrilité tel que la moindre ouverture de porte nous rend paranoïaques, comme l’était par ailleurs un des personnages principaux au début du film . Si Gozu paraît totalement opaque pour certains, et l’on peut d’ailleurs considérer qu’une autre source inspiration a sans doute été Luis Buñuel pour une séquence onirique de toute beauté, de nombreuses pistes de réflexions peuvent cependant être amorcées quant à sa signification analytique, même si au final il reste un pur moment de divertissement, totalement jouissif et complètement déjanté.