Zabriskie Point (1970) Michelangelo Antonioni
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Zabriskie Point (1970) Michelangelo Antonioni
La liberté c’est la conscience de la nécessité
Il y a quelques années, Quelqu’un m’a dit qu’il fallait « liquider les idées de mai 1968 » ; ça tombe bien puisque Zabriskie Point ressortait en salles il y a quelques temps. Le film de Michelangelo Antonioni est en effet un de ceux qui retranscrivent le plus habilement l’esprit libertaire qui soufflait aux États-Unis en cette fin de décennie révolutionnaire. Sortant tout juste de son Blow up qui diagnostiquait le Swinging London, le réalisateur italien s’exile donc dans le pays de l’oncle Sam à la demande de la MGM. Il travaillera pour l'occasion une nouvelle fois avec Pink Floyd, qui fera aussi la bande originale de Profession : reporter. Pour les rôles principaux du film, il choisit deux inconnus Mark Frechette et Daria Halprin, dont les carrière au cinéma ne feront pas long feu. Le tournage est en particulier perturbé par des protestations issus de militants pro Nixon, Antonioni ayant une réputation de gauche affirmée.
L'idée originelle du film est un fait divers : l’histoire d’un hippie qui avait décoré un petit avion de slogans « peace and love ». En l’occurrence, c’est Mark, jeune homme contestataire qui ne se retrouve pas dans l’atmosphère des meetings d’étudiants. Voulant agir, il achète une arme en faisant croire au marchand qu'il souhaite se protéger « des Noirs de son quartier ». Il se retrouve embarqué malgré lui dans une émeute impliquant la police et des étudiants noirs, et annonce fièrement que son nom est Karl Marx. Pour éviter d’être arrêté, à la suite d'un meutre qu'il n'a pas commis, il va fuir dans le désert dans un avion de tourisme. Il rencontre Daria, jeune secrétaire baba-cool d'une agence de publicité, qui est ici pour tourner un spot destiné à faire la promotion de la Vallée de la Mort. Souhaitant trouver un endroit pour faire de la méditation, elle se retrouve dans une ville paumée.
On peut dire que Zabriskie Point est découpé en deux parties, l’une urbaine et l’autre dans le désert. Dans la première on est frappé par la surabondance de symboles matraquant la société de consommation. Panneaux publicitaires, magasins, publicités, hommes de marketing, etc. Autant de détails qui donnent la nausée, en particulier pour un militant anti consumériste comme le personnage principal du film. À côté nous avons donc des étudiants, sympathiques mais foutrement bordéliques, dans des réunions où l’on devine qu’il ne se pourra rien se passer tant les dissensions sont nombreuses parmi les participants. Au milieu de tout ça nous avons bien sûr les forces de l’ordre, étiquetées par un Michelangelo Antonioni avec un poil de parti-pris comme le Mal absolu qui matraquent à bout de bras tous les jeunes qui passent sous leur chemin. On se croirait presque dans le Punishement Park de Peter Watkins, sorti un an plus tard.
La seconde partie de Zabriskie Point est plus poétique : là se trouve en substance l’esprit libertaire qui sous-tend les hostilités. Notons d'ailleurs au passage qu’une fois de plus, et cinq ans avant Profession : reporter, Michelangelo Antonioni prend le désert comme symbole absolu de la liberté. Dans cet espace vierge, qui tranche avec tous les accessoires de la société de consommation qui nous ont été présentés dans la première partie du film, peut se développer une autre histoire, celle de Mark et Daria et leurs rêves d’absolu, de grands espaces, de fuite et de liberté. Notons aussi que ce qui intéresse Antonioni c’est le rêve contestataire plus que sa réalisation en elle-même. Les références oniriques du film sont d'ailleurs légion, et souvent mis en parallèle avec l'amour. Nous avons ici affaire à des absolus, brillamment mis en images par le réalisateur.
Les deux séquences phares de Zabriskie Point sont en effet deux hallucinations, deux fantasmes orgiaques (l’un purement sexuel l’autre plus anarchiste) qui amplifient le rejet de la société de consommation. Michelangelo Antonioni semble ainsi nous faire comprendre combien le mouvement alors à son apogée est déjà voué à l’échec, réflexion d’ailleurs soulignée par la thématique de la fuite en avant des deux protagonistes, errance finalement futile et vaine, quoique sans doute indispensable. Se jouant habilement d’une ressemblance avec un film comme La mort aux trousses, Antonioni réalise là un film qui n'est pas parfait (et ne cherche pas non plus à l'être), mais reste un témoignage assez fort de cette époque. Formellement, l'esthétique du film a inspiré de nombreux héritiers, on peut citer par exemple Paranoid Park de Gus Van Sant ou bien Lawrence Anyways, de Xavier Dolan.