Incendies (2011) Denis Villeneuve
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Incendies (2011) Denis Villeneuve
Quand les blessures du passé reviennent hanter les survivants
L‘auteur d‘Incendies, le dramaturge Wajdi Mouawad, est né et a grandi au Liban jusqu‘à ses 8 ans. Contraint d’émigrer à cause de la guerre civile, il vit d’abord à Paris pendant huit autres années puis au Québec. C’est dire si l’exil, il connaît. Il va d’ailleurs en faire l’un des thèmes fondateurs, avec la quête identitaire, de sa trilogie théâtrale, composée également de Littoral et de Forêts. Mais s’il parle de guerre et du Moyen-Orient dans son œuvre, Mouawad se garde bien d’évoquer le Liban : il fait de sa pièce une allégorie des conflits qui ont émaillé cette partie du Monde depuis bien longtemps. Le réalisateur canadien Denis Villeneuve conserve ce postulat dans son film, même si nombreux sont les détails qui nous ramènent au pays des cèdres.
Juste après la mort de leur mère Nawal, les jumeaux Jeanne et Simon Marwan sont sous le choc, et ne s’attendent pas à la révélation que va leur faire Jean Lebel, le notaire chez qui Nawal a travaillé durant quinze ans. Ce sont deux lettres que leur transmet Nawal post mortem, l’une destinée à leur père qu’ils croyaient mort et l’autre à un frère dont ils ignoraient jusqu’alors l’existence. Une troisième lettre leur est adressée, et ne pourra être ouverte qu’après la transmission des deux premières par les jumeaux. Simon se révolte et décide de refuser l’héritage maternel tandis que Jeanne, bouleversée, part dans ce pays du Moyen-Orient où sa mère est née et a longtemps vécu. Elle est persuadée qu’elle y trouvera la raison pour laquelle sa mère se taisait depuis quinze jours avant sa mort.
La forme d‘Incendies est très intelligente : avec une efficacité hollywoodienne que l‘on ne peut contester, on suit l‘enquête haletante qui va amener Jeanne et son frère à découvrir la vérité d‘une mère qu‘ils ne connaissaient pas. Cette intrigue familiale, tout à fait déchirante, est constamment entremêlée avec une autre intrigue, celle-ci plus politique et toute aussi passionnante. Car si le nom du pays n’est jamais cité, les points communs avec le drame qu’a vécu le Liban entre le milieu des années 1970 et les années 1990, et qui se poursuit toujours, sont flagrants. Cela dit, Wajdi Mouawad et Denis Villeneuve ont très bien fait de ne pas situer leur œuvre dans un univers spatial précis : cela lui confère une dimension universelle, où les plaies que traverse le Moyen-Orient émergent.
Toutefois, on garde en tête la Guerre du Liban, ce conflit complexe dont on a relativement peu parlé mais qui a déchiré toute une population. Sa mise en lumière aujourd’hui, alors que d’autres conflits meurtriers continuent de toucher la région, et tant d’autres, est absolument captivante. Alors oui, il y a des facilités narratives dans Incendies, mais sa mise en scène est tout de même bigrement intéressante. Cette façon de rester sobre malgré les horreurs que l’on peut voir les unes après les autres force le respect. Si l’on souhaite chercher la petite bête, on peut toutefois se demander, par exemple, ce que vient faire la musique de Radiohead devant ces images, et l’on peut considérer que la métaphore mythique est, sans rien divulgâcher, un peu trop appuyée.
Reste que le soin apporté aux moindres détails de la mise en scène, et cette façon si particulière d’embarquer les spectateurs dans un récit qui englobe à la fois la petite et la grande Histoire sont des atouts du film. Un autre de ses points forts réside dans la qualité d’interprétation de la trop rare Lubna Azabal, toute en intériorité dans ce rôle de femme combattante et courageuse. Le message du film, certes simpliste, est mis en avant pour son caractère résolument fabuleux et par le mythe qu’il sous-tend, lui non plus jamais nommé mais que l’on reconnaît aisément. Un des nombreux chocs de cette année 2011 riche en cinéma, Incendies est un film important à voir, tant pour ses qualités artistiques que pour la portée historique de son message.