Dans un jardin qu’on dirait éternel (2020) Tatsushi Omori
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Dans un jardin qu’on dirait éternel (2020) Tatsushi Omori
La délicatesse
Premier film de son réalisateur à sortir en France, Dans un jardin qu’on dirait éternel est aussi le dernier film tourné par la grande Kirin Kiki. Celle-ci, atteinte d’un cancer du sein depuis presque quinze ans, s’est éteinte en 2018. Quant à Tatsuhi Omori, il a déjà sorti au Japon plusieurs films, qui sont passés dans quelques festivals tels celui de Locarno, de Berlin ou de Tokyo. Il s’inspire régulièrement d’écrivain de son pays, comme Mangetsu Hanamura ou bien ici Noriko Morishita. Cette autrice se raconte, avec La cérémonie du thé, et décrit, comme son sous-titre l’indique, la façon dont elle a appris à vivre le moment présent via cet exercice ritualisé. Omori ne connaissais rien dans l’art du thé avant de commencer l’adaptation de ce roman, tout comme ses actrices, qui ont entamé un apprentissage avant le tournage du film. Ainsi l’évolution du personnage a-t-elle résonné en écho chez son actrice principale.
Quand elle avait six ans, Noriko est allée avec ses parents voir La strada au cinéma. Elle s’est ennuyé et a regretté de ne pas être allé voir un film d’animation. Pratiquement quinze ans plus tard, étudiante, elle n’entend parler autour d’elle que de camarades qui entrent sur le marché du travail alors qu’elle est toujours indécise. Sa meilleure amie Michiko a un caractère différent, beaucoup plus spontanée et volontariste. La mère de Noriko leur propose un jour de prendre des leçons pour apprendre l’art du thé, ce qu’elles finissent par accepter. En arrivant chez Madame Takeda, elles sont toutes les deux impressionnées et se comportent un peu de façon maladroite. Leur professeur leur apprend tout d’abord comment plier sa serviette, une procédure qui semble simple au premier abord, mais qui nécessite une attention toute particulière, de la dextérité et une mémoire sans faille.
À l’image de son propos, Dans un jardin qu’on dirait éternel est empreint de subtilité et de douceur. C’est un film qui prend son temps, non pas qu’il soit long en tant que tel, mais son rythme est loin d’être soutenu. Et étonnement, alors qu’on est habitué à des rebondissements en cascade et à des retournements de situation à qui mieux mieux, le calme inhérent au film ne lui est pas préjudiciable. Au contraire, on se laisse happer par cette douce cadence, mesurée par le fil des saisons qui passent. Ainsi chaque scène est introduite par le nom, forcément romantique, de la période de l’année durant laquelle la scène se déroule. Ainsi au début du printemps, qui voit les premiers cerisiers en fleurs, succède celui de l’été, où les bambous commencent à pousser. Les petite et grande chaleurs alternent, puis les gels, et la nature s’adapte à ce rituel. C’est ce que petit à petit l’héroïne du film apprend à apprécier.
Car au-delà du rituel immuable de la cérémonie du thé, Dans un jardin qu’on dirait éternel est un récit d’apprentissage. Au début du film Noriko est au sortir de l’adolescence, et elle ne sait clairement pas ce qu’elle veut faire de sa vie. Elle va s’initier à cet art un peu par hasard, et sans grande motivation. Ces séquences d’initiation sont clairement séparées par le montage, par un bandeau nous informant du passage des saisons et par la voix off du personnage principal, qui précise le laps de temps qui s’est passé entre deux scènes. Tout cela parait sur le papier complètement didactique alors que le rendu visuel est cohérent et naturel. On voit ainsi le temps passer sur les visages des protagonistes, puisque environ 25 ans vont passer entre le début et la fin du film, et que les différentes phases de la vie de Noriko vont dérouler sous nos yeux. D’une jeune fille timide va éclore une femme expérimentée, tout aussi charmante mais plus sûre d’elle.
C’est un atout indéniable de Dans ce jardin qu’on dirait éternel que d’à la fois nous dépeindre un « Japon éternel » et de l’ancrer dans une contemporanéité crédible. Il est certain que le sujet principal du film n’est pas d’une modernité folle : le rite ancestral de la cérémonie du thé se marie a priori difficilement avec les existences d’aujourd’hui. Et pourtant Tatsuhi Omori nous dépeint assez justement les trajectoires opposées de deux jeunes filles qui, tout en intégrant les traditions familiales et sociétales, parviennent discrètement à s’en libérer. Michiko est celle qui nous parait plus indépendante, avec son fort caractère et son désir d’ailleurs, et pourtant elle va, d’elle-même, accepter un mariage arrangé. À l’inverse, la discrète Noriko va doucement, au travers de cette formation pourtant conventionnelle, apprendre à s’autonomiser et trouver sa voie. Le prix à payer lui semblera lourd mais la sagesse acquise lui permettra de le surmonter.