Canción sin nombre (2020) Melina León
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Canción sin nombre (2020) Melina León
El cóndor pasa
Le premier long-métrage de la péruvienne Melina León fut présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Elle a mis longtemps à produire Canción sin nombre, tentant au début de faire financer le film par une société de production américaine pour finalement se décider à l’auto-produire au Pérou. Après des études de cinéma aux États-Unis, elle reçoit plusieurs prix pour son premier court-métrage et travaille comme monteuse. Son père Ismael León avait participé à la fondation du quotidien La República, qui a souvent dénoncé les dérives des gouvernements corrompus. Au début des années 1980, il mène une enquête sur des bébés qui disparaissent à leur naissance. Alors que la guérilla menée par le Sentier lumineux bat son plein, plusieurs femmes pauvres, souvent d’origine Quechuas, se font voler leur nouveau-né par des organismes qui les vendent à l’adoption internationale. C’est cette histoire que sa fille souhaitait raconter.
Au Pérou, en 1988, Leo reçoit ses nouveaux habits de danse traditionnelle, que les membres de sa famille bénissent durant une cérémonie. Son épouse Georgina, qui attend un bébé, vend des pommes de terre dans la rue et entend un jour à la radio la publicité pour un établissement de Lima qui vient en aide aux femmes enceintes désargentées. De son côté, Pedro, journaliste à La República, rencontre son voisin, acteur de théâtre avec qui il sympathise. Quand l'épouse de Leo accouche, les médecins transfèrent la petite fille dans un autre hôpital et lui disent qu’elle ne peut pas le voir. Leo la rejoint et ils tentent sans succès de retrouver leur enfant. Ils déposent alors plainte au commissariat où ils sont reçus par un fonctionnaire retors. Au palais de justice on ne leur fait pas un meilleur accueil. Désemparés, les deux jeunes adultes désespèrent de trouver une solution à leur problème.
Avec Canción sin nombre, on se trouve clairement devant un « film France inter ». L’action se passe au Pérou, les personnages sont issus d’un peuple minoritaire d'Amérique du Sud, ils sont pauvres et victimes d’une injustice ou opprimés par le système en place. On pourrait penser à une caricature du film d’auteur, voire auteuriste, d’autant plus que le film est en format carré et en noir et blanc. C’est assez symptomatique des productions qui nous viennent de pays dont la production cinématographique n’est pas pléthorique : ils se doivent visiblement d’incarner une culture à eux seuls et se sentent donc visiblement obligés de paraître « sérieux ». L’image du film est d’ailleurs très bien léchée et les actrices et les acteurs semblent très engagés. C’est donc une production de bonne facture qui nous est présentée à l’écran, même si on a comme une impression de déjà-vu, et que l’on craint que le film ne soit que distribué que dans un circuit très restreint.
Paradoxalement, un des plus grands atouts de Canción sin nombre se trouve dans une intrigue parallèle du récit. Il se trouve que le journaliste qui investigue sur le trafic d’enfants est homosexuel. Cela nous est révélé lors d’une très jolie scène, où lors d’un échange de regards on comprend vite l’attirance réciproque qu’il éprouve envers son voisin. L’acteur qui incarne celui-ci est d’ailleurs tout à fait charmant, tout comme son personnage d’acteur qui assume complètement son orientation sexuelle dans un pays où les mentalités semblent hostiles à la question. L’homophobie est donc une des lignes qui sous-tendent cette histoire, où les minorités opprimées se rejoignent pour lutter contre un état dictatorial. Mais ces deux aspects sont relativement bien traités, rien n’est appuyé dans le scénario et l’histoire d’amour entre ces deux hommes est racontée de façon simple et naturaliste, ce qui est agréable.
Le propos principal de Canción sin nombre reste tout de même le message politique que le film souhaite transmettre. L’époux de l’héroïne se voit embrigadé dans une organisation que l’on devine être le Sentier lumineux, groupe extrémiste d’obédience maoïste qui a semé la terreur durant le conflit armé péruvien, qui a eu lieu dans les années 1980 et 1990. La dénonciation des arcanes du pouvoir est nette, entre les couloirs kafkaïens du palais de justice et l’attitude des responsables politiques, qui se lavent les mains des décisions qu’ils prennent à la légère, voire sous l’influence de lobbys. Depuis quarante ans, le Pérou a été dirigé par des hommes d’État corrompus et autoritaristes, et le film se veut comme un cri d’alerte pour ne pas oublier que même si la situation s’améliore, le pire peut toujours advenir. En cela, il est important qu’il soit diffusé dans le plus grand nombre de pays, ne serait-ce que par son message.