Amoureux de Paname
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Amoureux de Paname
Kenji Sawada, Mon amour je viens du bout du monde (G. Costa/G. Sinoué), Polydor, 1974.
Fou de toi (G. Costa/G. Sinoué), Polydor, 1975.
Erasmus
Les années 60 et 70 ont connu profusion d’échanges linguistiques. Dans un monde pré-mondialisé, aux identités nationales plus marquées, on adaptait les chansons plutôt que de les importer sans filtre : les yéyés entonnant leurs reprises de tubes américains, Hugues Auffray traduisant Bob Dylan. Les chanteuses françaises comme Françoise Hardy ou Dalida enregistraient leurs tubes en italien et inversement, Patty Pravo, Rita Pavone et Gigliola Cinquetti enregistraient les leurs en français. Cela a doné lieu à des morceaux savoureux, souvent avec des accents à couper au couteau. Même Georges Brassens, pourtant à mille lieux de la mode et de la variété s’est plié à l’exercice, chantant quelques unes de ses chanson en espagnol.
Une photo de Paris
La palme de la plus longue distance parcourue revient toutefois à Kenji Sawada, chanteur de variété et acteur très connu et apprécié au Japon, avec sa tête de jeune premier aux traits fins, aux cheveux longs, gendre idéal. En 1974, il tente une percée en France avec Mon amour je viens du bout du monde (sur le papier, on ne peut en effet pas le nier) et poursuit en 1975 avec Fou de toi.
Dans ses chansons, il met en scène son personnage d’étranger à l’accent indéfinissable :
« Mon amour je viens du bout du monde
Mon amour sans perdre une seconde
Ce pays que je ne connais pas
Je veux le voir avec toi
…
Paris, la Seine, les quais, les ciel
Je veux enfin tout voir »
En avant la musique et les clichés, c’est de bonne guerre.
Dans ces chansons d’amour, Kenji Sawada est dans le même registre que Frédéric François ou Claude Barzotti, il accentue le côté exotique, se met en scène dans la peau d’un étranger. Bien avant Arthur Golden en son roman de 1997, adapté au cinéma en 2005, il glissait déjà dans notre imaginaire la figure de la geisha : Ma geisha de France, en face B de Fou de toi.
Adieu mon pays
« Adieu mes amis et mon pays
Ma vie commence ici »
Kenji Sawada s’installe donc à Paris pour l’amour d’une blonde (c’est dans le texte). Son voyage s’arrête au bord de la Seine, loin du pays du soleil levant. La formule : « adieu mes amis et mon pays » est amusante, elle sonne comme du Enrico Macias (Adieu mon pays, 1964). Il faut dire que celui qui a écrit pour Kenji Sawada est Gilbert Sinoué, très connu aujourd’hui en tant que romancier, mais qui avait commencé sa carrière artistique en tant que chanteur à succès avant de se recycler comme parolier, souvent associé à son ami François Valéry, jusqu’au milieu des années 80, quand il a commencé les choses plus sérieuses.
Comme Enrico Macias qui venait d’Algérie, Gilbert Sinoué (né Samir-Gilbert Kasseb au Caire) était un immigré. Le sentiment de l’étranger venant du bout du monde et laissant derrière lui son pays d’origine ne lui était donc pas tout à fait inconnu.
Retour de bâton
Pour finir avec cette histoire de libre-échange international, je voulais juste dire qu’on a suffisamment abreuvé les Japonais de beaujolais nouveau et de Mireille Mathieu pour tolérer sans rechigner un Kenji Sawada qui a d’ailleurs eu beaucoup de succès avec ces deux 45 tours. L’étranger fait vendre, c’est connu.
Pour Mon amour je viens du bout du monde, c'est ici.
Pour Fou de toi, c'est ici.
Et pour Ma geisha de France, c'est ici.
Mais il faut avoir le cœur et les oreilles bien accrochés.