Si rien ne bouge
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Si rien ne bouge
Nathalie Lhermitte, Jérôme (Vline Buggy/Julien Lepers), Carrère, 1983
Exploration linguistique
Cette chanson, qui parle de ce qu’il y a de pernicieux dans le progrès (je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle dénonce tant elle reste au stade superficiel), est plus à rapprocher de La Montagne de Jean Ferrat que de La Complainte du progrès de Boris Vian. Chez Vian, le progrès est prétexte à l’invention stylistique :
« cire-godasses, repasse-limaces, armoire à cuillères, aérateur, pistolet à gaufres, tabouret à glace et canon à patates »
La fantaisie de Boris Vian explore le champ des possibles.
Choisir, c’est renoncer
Jean Ferrat et Nathalie Lhermitte (rien à voir avec le comédien au passage) sont plutôt versés dans les sentiments, la mélancolie et la méditation. La ville est opposée à la campagne, la vitesse à la lenteur, et les troubles de tout sorte à la paix de l’esprit. Ce que nous avons gagné d’un côté, nous l’avons évidemment perdu de l’autre, et nous voilà malheureux comme les pierres avec nos appareils ménagers sans âme, comme déshumanisés par ricochet :
« Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné
…
Leur vie… Ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s’en faire
Que l’heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l’on aime
Et rentrer dans son HLM
Manger du poulet aux hormones »
Le goût de la nature et de l’essentiel s’est perdu. Chez Nathalie Lhermitte, cela donne :
« Qu’as-tu fait Jérôme des peupliers
Que tu as plantés sur la colline
Les gens de la ville les ont coupés
Pour y installer un camping »
Ah ces gens de la ville ! Ils ne peuvent pas s’empêcher de tout bousiller et de voler les paniers des enfants (La Pêche aux moules). Ils étaient déjà promoteurs de parkings chez Dutronc en 1972 (Le Petit jardin), et de lotissements chez Nino Ferrer en 1971 (La Maison près de la forêt), constructeurs d’autoroutes ou du Domaine des Dieux.
« Qu’as-tu fait Jérôme de ta jument grise
J’aperçois un break rangé sous ta remise
…
Mais tu n’as plus Jérôme l’armoire du grand-père
À sa place tu as un frigidaire »
Autant pour l’authenticité.
Idoles tactiles
La voiture a donc remplacé le cheval et le frigo l’armoire ancestrale. Tout fout le camp mon pauvre ami. Que choisir entre confort et souvenirs ? L’un implique-t-il forcément de renoncer à l’autre d’ailleurs, quand je peux télécharger en quelques secondes une appli « bien être » ?. 5G ou vie d’Amish ? Le grand capital a tranché pour nous. Il n’empêche que la montagne est belle.
« Le progrès nous rendra tous idiots
Tu ne prends plus Jérôme le temps d’être heureux »
Les paroles, si cucul soient-elles, ont au moins le mérite de nous inviter à réfléchir.
« Il faut savoir ce que l’on aime ».
Crédits
Vline Buggy. Sous ce nom étrange se cachent deux sœurs, Évelyne et Liliane Konyn, qui ont beaucoup écrit pour Claude François, Johnny et Hugues Aufray.
La musique, qui fait un peu penser à Nino Ferrer parfois ( la mélodie au piano rappelle le pont du Sud) est quant à elle signée Julien Lepers, qui a composé notamment pour Herbert Léonard.
Pour écouter la face, Tu es tout ce que j'aime, c'est ici