Éducation sentimentale
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Éducation sentimentale
Nous sommes en 1975 et Sheila est la star de la chanson depuis plus de dix ans. Mais voilà, elle commence à prendre de l'âge (tente ans, tout de même...) et elle est sur le point de devenir maman, ce qui risque de poser un problème au public au public des adolescentes qui se ruent sur chacun de ses disques.
De peur que le filon ne s’épuise ou s’en aille voir ailleurs si le vinyle est plus brillant, Claude Carrère, producteur et patron du label qui porte son nom, décide de faire enregistrer un nouveau titre à une jeune chanteuse prometteuse qui vient juste d’avoir seize ans : Julie Bataille. À quatorze ans, la jeune fille s’était déjà présentée au studio mais, malgré ses grandes qualités et son entrain, elle avait été jugée trop jeune pour commencer une carrière. Deux ans plus tard, on lui donne sa chance avec une chanson calibrée pour être un hit : Pas besoin d’éducation sexuelle. À l’époque, on pouvait même obtenir une photo dédicacée de la chanteuse en écrivant à la maison de disques, ce qui en dit long sur le public visé. Qui veut à tout prix une photo signée de la main de son idole sinon les adolescents ?
L’affaire est donc entendue, et Julie Bataille sera l’interprète de cette chanson faussement sulfureuse, écrite par Claude Carrère lui-même, et composée par Jim Larriaga, avec Bernard Estardy en tant qu’ingénieur du son, soit les grands noms du moment.
Derrière ce titre très provocateur pour l’époque se cache en réalité une gentille bluette sans conséquence, un ersatz de la discographie de Sheila. Julie Bataille explique qu’il n’y a besoin d’aucun manuel pour apprendre à aimer. Pas questions des techniques du kama-sutra aux figures compliquées donc. Pour être honnête, il aurait mieux valu intituler la chanson Éducation sentimentale mais l’honnêteté ne fait pas vendre, et puis le titre était déjà pris par Maxime Le Forestier…
Derrière ce titre très provocateur pour l’époque se cache en réalité une gentille bluette sans conséquence, un ersatz de la discographie de Sheila. Julie Bataille explique qu’il n’y a besoin d’aucun manuel pour apprendre à aimer. Pas questions des techniques du kama-sutra aux figures compliquées donc. Pour être honnête, il aurait mieux valu intituler la chanson Éducation sentimentale mais l’honnêteté ne fait pas vendre, et puis le titre était déjà pris par Maxime Le Forestier…
Pas besoin d’éducation sexuelle, un tel titre brouille les pistes et nous fait confondre volontairement érotisme et gymnastique, amour physique et sentimental. Les derniers mots enfoncent encore le clou :
"Erotique effrenée
Obsession libérée
Mais l’amour quand on aime (tu parles de paroles à la noix…)
C'est un cœur qui bat et qui chante"
Au bout du compte, on ne sait plus très bien si on parle de sexe ou d'amour, de vessies ou de lanternes. Cela pourrait ne pas prêter à conséquence, mais un sérieux problème se pose à l'écoute du refrain :
"Pas besoin d'éducation sexuelle
Pour tomber amoureuse de toi
Sans jamais avoir ouvert un livre
Je saurai t'aimer comme tu veux
Pas besoin d'éducation sexuelle
Pour dormir chaque nuit dans tes bras
Tu sais bien que, de toutes mes forces,
Je veux faire de toi un homme heureux"
Ce genre de déclarations a quelque chose de gênant d’un point de vue éthique. D’abord, la chanteuse se présente comme une ravissante idiote (« sans jamais avoir ouvert un livre »). N’oublions pas que c’est un homme qui a écrit les paroles. À de rares exceptions près, c’était souvent le cas dans ces années-là. La femme doit donc porter des valeurs de liberté et d’insoumission, être forte et indépendante, elle n’a pas besoin d’éducation sexuelle (sous-entendu : elle est déjà aguerrie, experte, c’est ce que le titre laisse imaginer), mais elle doit aussi garder comme objectif que son rôle, ce qui pourra l’épanouir pleinement en tant que femme, est de satisfaire son bonhomme, faire de lui un homme heureux. Il y a de quoi devenir schizophrène : comment être insoumise et soumise à la fois ? Amazone et bobonne ? Salope et sainte ?
Pas besoin d’éducation sexuelle n’est pas le seul exemple de cet équilibrisme précaire, loin s’en faut. Il y a des dizaines de Julie Bataille clamant et réclamant l’indépendance et la rébellion d’une voix qui n’est pas tout à fait la leur mais celle de leurs paroliers-producteurs-pygmalions.
Et à propos de voix, Julie Bataille a su faire bon usage de la sienne puisqu’à la suite de sa courte carrière dans la chanson, elle est devenue très présente dans le doublage de dessins animés et la publicité. Dans les années 90, elle a rejoint l’équipe d’imitateurs des Guignols de l’info sur Canal+, où elle était la voix d’Anne Sinclair et de Christine Ockrent entre autres.
Morceau à écouter ici