L’Inconsolé
Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 9 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
L’Inconsolé
Graziella de Michèle, Le Pull-over blanc (de Michèle/Quattro), Virgin, 1986.
Je me souvenais très bien de cette chanson, présente sur une compilation caritative Le Cadeau de la vie que ma mère écoutait, je l’aimais déjà beaucoup sans bien comprendre. Elle a ensuite disparue de ma vie, comme son interprète. Un jour, j’ai retrouvé le 45 tours dans une boutique Emmaüs, refait de ce bon souvenir qui remontait à la surface.
Manque de bol, le disque était fendu. Ça arrive. Souvent. Je n’en étais alors qu’à mes débuts dans la carrière de chineur frénétique, naïf, croyant que le disque correspondait toujours à la pochette, et qu’il était toujours en parfait état. Maintenant je fais gaffe, préférant passer devant le vendeur pour le gros maniaque qui vérifie scrupuleusement l’état de chaque sillon d’un 45 tours à 50 centimes, tel l’archéologue avec son pinceau exhumant des éclats de poteries vieux de plusieurs siècles, plutôt que de subir une nouvelle désillusion dont je suis pas sûr de pouvoir me remettre de retour à la maison.
J’ai alors décidé d’acheter l’album dont je pensais ce titre extrait : Le Clown d’Alicante. Pas de bol, une fois encore, Le Pull-over blanc n’y était pas. La chanson est d’abord sortie en 45 tours et n’a été intégrée que plus tard à l’album, après réédition.
J’ai fini par retrouver la chanson et, après voilà l’intro, je peux enfin en parler un peu.
À l’écoute, on comprend que la chanson s’adresse à un homme dont la femme a disparu brusquement :
« Il y a longtemps déjà qu’elle n’est plus là
…
Sans rien t’expliquer elle est partie
Elle t’a laissé seul dans les draps salis »
On croit à une rupture difficile mais c’est en réalité qu’elle est morte. La chanson ne le dit jamais clairement, à peine est-ce évoqué :
« Dans la nuit d’un dernier hiver ».
Et plus encore, elle s’est suicidée peu de temps après la naissance de sa fille. Elle s’appelait Francine, c’était une ancienne collègue et amie de Graziella de Michèle, qui était infirmière avant de devenir chanteuse.
Le disque est dédié :
« À Mercedes, 12 mois... »
On peut supposer qu’elle est la fille de la disparue.
La mélancolie évidente et terrible de la chanson est renforcée par de l’accordéon. Comme quoi, cet instrument n’est pas réservé au musette, au Tour de France et aux prénoms désuets, Yvette Horner, Aimable, André Verchuren, il peut aussi dire la tristesse et exprimer le douloureux des sentiments, le cycle de la vie et de la mort, la langueur du tango.
Graziella de Michèle ne s’est jamais vraiment remise de cette histoire, sa carrière et le fait qu’on apprécie ou non ses petites chansons lui paraissant anecdotique au regard de l’ampleur des combats à mener. Dans les années 90, elle s’est activement engagée aux côtés de l’association Act Up dans la lutte contre le Sida. Le Clip du Pull-over blanc avait été réalisé par Cyril Collard (Les Nuits fauves, roman puis film), ceci expliquant en partie cela.
Elle a depuis disparue elle aussi de la circulation et j’espère qu’elle va bien. Tout espoir d’une quelconque explication se noie dans l’absolu définitif du refrain :
« Et tu cherches à comprendre
Ça sert à rien tu perds ton temps ».
Le morceau est à écouter ici