Mélo (1986) Alain resnais
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Mélo (1986) Alain resnais
Vertiges de l’amour
Au début des années 1980, Alain Resnais rompt avec ses expérimentations formelles et opte peu à peu dans ses films pour des structures plus linéaires. Il s’entoure depuis La vie est un roman des quelques interprètes qui seront des fidèles collaborateurs dans ses prochains films. Ainsi Fanny Ardant l‘accompagnera dans L’amour à mort et Melo, tandis que Pierre Arditi et André Dussolier, sans oublier Sabine Azéma, qui l’épousera en 1998, le suivront dans quasiment chacun de ses prochains filong-métrages. Son goût pour la littérature, régulièrement affirmé dans l’écriture de ses œuvres, l’amène pour Mélo à adapter le dramaturge Henri Bernstein. Sa pièce, créée dans les années 1920, centrée sur un trio amoureux, avait déjà fait l’objet d’une adaptation peu après sa sortie. Le film sera plusieurs fois nommé aux Césars au vaudra à Sabine Azéma son deuxième trophée et à Pierre Arditi d’être récompensé pour un second rôle, qui n’est d ‘ailleurs pas loin d’être un premier.
À Montrouge, en juin 1926, le violoniste renommé Marcel Blanc est invité par son ami Pierre Belcroix et son épouse Romaine, pianiste à ses heures perdues. La soirée est arrosée et Marcel raconte ses peines de cœur, sous le regard attendri, et peu à peu fasciné, de Romaine. Quand ils se retrouvent seuls, elle lui propose de venir le lendemain chez lui interpréter un morceau ensemble ; puis Marcel propose à Pierre de se joindre à eux, et la jeune femme se ravise, prétextant un rendez-vous chez le coiffeur, donc la rencontre est reportée. Pourtant le lendemain, c’est bien en tête-à-tête que Romaine et Marcel se retrouvent et partagent un moment d’intimité. Ils ne vont pas tarder à s’engager dans une passion amoureuse folle, gaie et insouciante. Quand Marcel doit partir pour une tournée à l’étranger, son amante retourne à sa vie maritale. Alors qu’il s’apprête à rentrer, Pierre malade et Christiane, la cousine de Romaine, fait appeler un médecin.
L’histoire de Mélo n’a rien d’original : la pièce de boulevard dont s’inspire Alain Resnais raconte ni plus ni moins que les élans affectifs de trois personnages. Le couple principal est au début du film assez complice, ils se chamaillent doucement et s’appellent par des petits noms sympathiques. L’irruption d’un ancien copain va changer la donne de façon imperceptible, et le temps d’un monologue savoureux, il va parvenir malgré lui à susciter l’attention de l'épouse, qui va petit à petit tomber sous son charme. En arrière plan surgit également un quatrième personnage, qui prendra tout doucement de l’importance sans jamais ne devenir une protagoniste principale. Cet dispositif simple, redoublé par le faible nombre de lieux dans lesquels se déroule une action principalement rythmée par les dialogues des personnages, ne nuit en rien à l’attention que l’on porte à cette histoire. Les élans du cœur, qui sont un leitmotiv essentiel de la filmographie du réalisateur, sont ici finement décortiqués.
Nous assistons ainsi dans Mélo à la métamorphose d’une jeune femme, qui d’effacée dans la première scène du film, devient une héroïne tragique dont le cœur bat trop vite. Elle subit ainsi les vertiges de l’amour, qui bien des années plus tard illustreront dans On connaît la chanson les mésaventures du personnage incarné par André Dussolier. Elle qui était si timide devient fougueuse, tout en ne sachant plus quel choix faire, tourmentée entre deux hommes qu’elle aime différemment. C’est avec Christiane une autre figure de l’amour que l’on voit alors apparaître, celle d’une femme sincère et patiente, qui n’ose pas avouer, à elle-même et aux autres, les sentiments qu’elle éprouve. La mise en scène d’Alain Resnais parvient à nous faire comprendre toutes ces petites choses de la vie très simplement, par quelques regards en coin, captés par une caméra discrète mais précise. Cette apparente légèreté des mouvements de caméra participe de l’élégance de la forme.
Car tout est raffiné dans Mélo, des décors aux costumes, des œuvres d’art qui peuplent les appartements à la photographie. Alain Resnais se fait un malin plaisir à tirer profit du cadre temporel dans lequel se situe son histoire. Les années folles l’inspirent et il en tire parti impeccablement. Son casting est au diapason, on sent une complicité sincère, qui se confirmera d’années en années, se nouer entre Sabine Azéma, Pierre Arditi et André Dussolier. Ils s’amusent comme des enfants et jouent, au propre comme au figuré. Cette légèreté se ressent, quand bien même les thèmes développés par le film se révèlent de plus en plus sombres. C’est le propre de cet lien délicat tissé comme un orfèvre par le réalisateur, qui se mue à la fois en artisan, œuvrant patiemment et minutieusement, dans les moindres détails à la création de son œuvre, et le démiurge, prévoyant les destins de ses personnages et offrant aux actrices acteurs qui les campent des écrins à leur mesure.